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« Ô MONDE! – ET LE CHANT CLAIR DES MALHEURS NOUVEAUX! » (ARTHUR RIMBAUD)

GERMAIN NOUVEAU

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  Je relis Germain Nouveau avec plus de plaisir qu’Arthur Rimbaud. Moins géniale, moins impressionnante, sa poésie me paraît souvent plus sensible. Nombre de poèmes signés Rimbaud relèvent de la virtuosité totale, comme Le bateau ivre. Cela étant le rapport à la nature et à l’Être est plus direct, plus franc, dans les Illuminations ou dans les Vers nouveaux. J’aime le vers et la phrase plus simples, cette espèce de fausse maladresse

« BONNE PENSÉE DU MATIN » (ARTHUR RIMBAUD)

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A quatre heures du matin, l’été,

Le sommeil d’amour dure encore.
Sous les bosquets l’aube évapore
L’odeur du soir fêté.

Mais là-bas dans l’immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s’agitent.

Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.

Ah ! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d’un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants,
Dont l’âme est en couronne.

Ô Reine des Bergers !
Porte aux travailleurs l’eau-de-vie,
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.

Arthur Rimbaud, Derniers vers

« ENFANCE », ARTHUR RIMBAUD

BON ANNIVERSAIRE, ARTHUR RIMBAUD!

rimbaud

I

     Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
À la lisière de la forêt — les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, — la fille à lèvre d’orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu’ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés — jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costume tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur ».

II

     C’est elle, la petite morte, derrière les rosiers. — La jeune maman trépassée descend le perron. — La calèche du cousin crie sur le sable. — Le petit frère — (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d’œillets. — Les vieux qu’on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.
L’essaim des feuilles d’or entoure la maison du général. Ils sont dans le midi. — On suit la route rouge pour arriver à l’auberge vide. Le château est à vendre ; les persiennes sont détachées. — Le curé aura emporté la clef de l’église. — Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu’on ne voit que les cimes bruissantes. D’ailleurs il n’y a rien à voir là-dedans.
Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L’écluse est levée. Ô les calvaires et les moulins du désert, les îles et les meules.
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d’une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s’amassaient sur la haute mer faite d’une éternité de chaudes larmes.
III

     Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse.

 

IV

     Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.
Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l’allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

 

V

     Qu’on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief — très loin sous terre.
Je m’accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.
À une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s’implantent, les brumes s’assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l’épaisseur du globe. Peut-être les gouffres d’azur, des puits de feu. C’est peut-être sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d’amertume je m’imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?

« BONNE PENSÉE DU MATIN » (ARTHUR RIMBAUD)

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À quatre heures du matin, l’été,
Le sommeil d’amour dure encore.
Sous les bosquets, l’aube évapore
L’odeur du soir fêté.
Mais là-bas dans l’immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s’agitent.

Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.
Ah ! pour ces ouvriers charmants
Sujets d’un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants
Dont l’âme est en couronne
Ô Reine des Bergers!
Porte aux travailleurs l’eau-de-vie.
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.

1872

RETOUR DU MARCHÉ

  Comme prévu, je suis donc allé au marché de la poésie, sous la pluie, hier après-midi. Qu’en dire, sinon que la fréquentation était relativement forte, et que rien ne semblait, a priori, distinguer cette édition des précédentes? Première impression, toujours désagréable, ce sentiment de prétention, de fatuité, qui saisit le visiteur, comme si tous ces égos généralement forts, concentrés au même endroit, étaient au touche-touche. Seconde impression, nettement plus positive: la présence d’éditeurs et d’auteurs de qualité, certains fort simples, bien qu’étreints, parfois, par l’étiquette. Cette année, je n’aurais pas fait de grandes nouvelles découvertes. Naturellement, j’ai retrouvé mon éditeur François Mocaer, seul responsable, talentueux, d’Unicité, et nos amis Eric Dubois, Mylène Vignon. J’ai également longuement discuté avec un homme fraichement publié par la maison, et qui présente une très belle anthologie du haïku, intéressante pour toute personne appréciant le genre (ce qui n’est pas mon cas, j’y reviendrai peut être dans un prochain billet):

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  Quoi qu’il en soit, bien des années après le célébrissime Fourmis sans ombre, ce recueil devrait apporter un certain renouveau. En me baladant dans les travées, j’ai également croisé un poète iranien, responsable là aussi d’une fort belle anthologie bilingue, présentée dans un format esthétique assez inhabituel, très grand, par les édition « Le temps des cerises », maison dirigée par Jean Ristat, grand poète français actuel et ancien secrétaire de Louis Aragon. Déclamant des textes d’Ahmad Chamlou, que tout le monde connaît, debout sur un banc, Reza Afchar Nadéri rendit hommage à son pays d’origine, grande terre de culture, d’art et de poésie, aujourd’hui étranglé par la dictature que nous connaissons tous. Mais dissocions poésie et politique: vendu vingt euros, ce qui n’est pas excessif pour un ouvrage illustré de cette qualité, le volume rassemble des créateurs très différents, et nous fait voyager:

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  Ensuite, j’ai pu m’entretenir avec des membres de l’incroyable CIPM (Centre International de la Poésie de Marseille), association qui était en grande difficulté, il y a plusieurs années, et qui, outre de très riches recueils,publie les magnifiques Cahiers du refuge, qui constituent des hommages à divers poètes, pour un prix là encore raisonnable. A l’occasion, j’ai évoqué mon travail autour d’Antonin Artaud, qui, après avoir été inhumé dans la ville de sa mort, Ivry, a été transféré à Marseille, sa ville d’origine, au cimetière Saint-Pierre. Apparemment, il y aurait deux personnes nommées « Antonin Artaud » dans la nécropole, toutes deux inhumées… la même année. Laquelle est la bonne, ou plutôt, laquelle est véritablement le poète surréaliste, l’acteur génial, et le fou magnifique? C’est pour répondre à cette épineuse question que j’ai acquis le DVD Antonin Artaud à Marseille, vendue par le CiPM pour 5 euros seulement. Le film, que je n’ai pas encore eu le temps de voir, est réalisé par Alain Paire:

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  Marseille terre de poésie? Par-delà les clichés, il n’y a pas que l’OM, le pastis, les calanques et la corruption dans la cité phocéenne, mais bien quelques maisons exigeantes, comme Al Dante. Notons également au passage, et pour rester dans le champ funéraire, la présence, par l’esprit, d’Arthur Rimbaud, mort sur place à son retour du Harrar, en 1891.

   Pour finir, je me suis longuement entretenu avec Zéno Bianu, poète reconnu, qui était en dédicace au stand Gallimard. J’ai évidemment acheté son recueil, Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas, avant d’évoquer mon projet de recueil autour des tombes de surréalistes. L’homme qui a longuement fréquenté le mouvement, et côtoyé certains de ses éminents représentants, m’a donné quelques précieuses indications. Je conseille à tous, amateurs de poésie,  ou tout simplement aux obsédés, ou aux sentimentaux, l’excellent Eros émerveillé, anthologie de la poésie érotique française chez NRF/Poésie Gallimard (là encore). La couverture est ornée par un magnifique fessier callipyge, peint par Clovis Trouille (le tableau Calcutta! Calcutta!).

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  C’est à peu près tout pour cette année, sachant que je ne suis pas resté longtemps. Avant de partir, je n’ai pu m’empêcher de retourner à l’église Saint Sulpice, admirer les incroyables bénitiers de Jean-Baptiste Pigalle, qui, avant de donner son nom à un quartier chaud, a fait de belles choses avec ses mains, au XVIIIème siècle. Admirons ainsi ce coquillage géant, posé sur un rocher en marbre brut, mais habilement taillé, pour donner une impression de naturel, et parcouru de crabes marins, recouverts d’algues en pierre:

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« AMOUR ET PRINTEMPS » (Emile Waldteufel)

   J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

(A. Rimbaud, Une saison en enfer).

BONNE PENSÉE DU MATIN

arthur-rimbaud-une-saison-en-enfer-1873-9680bÀ quatre heures du matin, l’été,
Le sommeil d’amour dure encore.
Sous les bosquets, l’aube évapore
L’odeur du soir fêté.

Mais là-bas dans l’immense chantier
Vers le soleil des Hespérides,
En bras de chemise, les charpentiers
Déjà s’agitent.

Dans leur désert de mousse, tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux
Où la richesse de la ville
Rira sous de faux cieux.

Ah ! pour ces Ouvriers charmants
Sujets d’un roi de Babylone,
Vénus ! laisse un peu les Amants
Dont l’âme est en couronne

Ô Reine des Bergers !
Porte aux travailleurs l’eau-de-vie.
Pour que leurs forces soient en paix
En attendant le bain dans la mer, à midi.

MAUVAIS SANG

Chaudron de Gundestrup, IIe siècle av. J.-C

Chaudron de Gundestrup, IIe siècle av. J.-C

J’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure. (Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer)