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BONNE ANNÉE 2024!

Le 1er janvier (jour de l’an), se situe au mois de Nivôse, dans le calendrier républicain.

Chers amis, chers lecteurs, chers abonnés,

Comme chaque premier janvier, donc, depuis 2014, année de création du blog, je vous présente mes voeux.

Comme chaque premier janvier également, je vais tirer un bref bilan de l’année passée, évoquer la fréquentation du blog, les perspectives.

  • Parlons d’abord de chiffres. Au moment où j’écris ce billet (1er janvier 2024, au matin), la fréquentation annuelle du blog s’élève à 8544. La popularité du blog a tendance à se tasser. L’effet COVID? Je ne sais.
  • En 2020, j’étais à plus de 11000 visiteurs, en 2021, je suis tombé à 10000, puis à plus de 9000 en 2022. La décrue se poursuit. Globalement, sachant que j’ai moins publié (159 billets en 2022 contre 138 en 2023), on arrive à peu près aux mêmes chiffres. Je compte quelques abonnés de plus (165, soit 44 abonnés par email, recevant donc la newsletter, et 121 utilisateurs de WordPress). Davantage de commentaires, également, ce qui est positif. Le blog est avant tout un outil de communication, un périodique à parution irrégulière, pour reprendre les termes de la BNF (le site étant enregistré sous ISSN, numéro 2427-7193).
  • La plupart des visiteurs viennent de France, évidemment. Suivent les Etats-Unis, la Belgique, et, bizarrement, l’Irlande et l’Italie, qui ne sont pas des pays francophones. Je n’ai aucune explication. Cela varie, d’une année à l’autre.
  • Le blog fête ses dix ans en septembre. En une décennie, et, en utilisant la formule gratuite, j’aurais finalement peu mobilisé les foules. Je constate par ailleurs que les visiteurs s’intéressent davantage à des citations classiques, à des tableaux, qu’aux articles de fond. C’est ainsi. Quoi qu’il en soit, et en étant parfaitement franc, je suis essentiellement content d’avoir tenu (bientôt!) dix ans. Peu me chaut, au fond, telle ou telle fluctuation. Les billets que je publie sont de toute façon confidentiels. J’y évoque des auteurs généralement méconnus, des surréalistes oubliés, etc. J’ai réussi à fédérer quelques fidèles, à atteindre globalement un objectif de régularité (oui, je parle comme un entrepreneur ou un cadre!). « Page Paysage » est une course de fond. Le fait d’intéragir avec cinq ou dix personnes, me suffit. Cela aide également à maintenir une forme de motivation, car l’exercice d’écriture est souvent difficile, ingrat.
  • En septembre, à l’occasion de l’anniversaire, donc, du blog, je reviendrai sur les principaux événements, sur la suite.
  • « Page Paysage » a évolué, au fil des mois, des années. Rien n’est dû au hasard. Je n’écris pas quotidiennement, pour éviter la saturation, et programme souvent les textes à l’avance, qu’il s’agisse d’une simple illustration ou d’un article plus conséquent. Dix ou douze billets mensuels: cela me paraît suffisant. 1) Chaque premier du mois, la série « Angst », ainsi, présente des photos décalées, glanées sur Google images ou sur Facebook. Le contenu doit rester un peu énigmatique, en suspens. 2) Comme son nom l’indique, la série « Mémoire des poètes » rend hommage à un créateur, généralement un auteur, et généralement un surréaliste, même si je ne m’interdis rien. 3) Je reproduis chaque mois une toile, une oeuvre surréaliste. 4) Chaque mois aussi je reprends ici une critique parue dans « Actualitté », ainsi qu’une interview d’auteur (série « Voix des auteurs »). Je poste une citation, tirée d’un livre contemporain, en valorisant naturellement mes amis, et/ou les petits éditeurs 5) Enfin, le défi « Un classique par mois » consiste à lire un auteur que je ne connais absolument pas, et à faire part de mes impressions. Il s’agit d’enrichir sa culture littéraire en explorant d’autres sentiers, un peu au hasard des routes (on peut ajouter comme contrainte: parler d’un livre trouvé dans la rue, ou dans une boîte aux livres). Peu importe qu’il s’agisse de l’oeuvre MAJEURE de l’auteur en question. Peu importe la longueur même du texte. Manquant cruellement de temps, entre les essais surréalistes à finir, les services de presse et tout le reste, je valorise les minces volumes: théâtre, poésie, nouvelles, brefs romans. Depuis juin 2023, j’ai beaucoup bourlingué. 6) La nouvelle série « Journal-photo » permet de rendre hommage à des contacts, de rendre compte (un peu) de la vie littéraire parisienne. Là aussi, l’amitié joue un rôle primordial. Ce blog est aussi un journal d’écriture. 7) Chaque mois, je me fends d’une réflexion plus ou moins longue, en évitant l’actualité politique, puisque tout propos « engagé » demeure, selon moi, à proscrire. Il en va de même sur les réseaux. Le débat sociétal, la polémique en général, demeurent vains sur Internet. Mieux vaut s’engager dans la « vraie vie », ou alors faire les deux (s’exprimer sur un écran mais se manifester dans la rue). Le temps perdu ne se rattrape jamais. Donner mon avis sur Emmanuel Macron, sur le conflit israélo-palestinien, ne changera absolument rien, et tel n’est pas l’objet. Certes, le créateur n’est pas retranché dans une tour d’ivoire. Cela étant, j’aime l’idée selon laquelle la littérature demeurerait un jardin préservé, où chacun pourrait librement s’exprimer, quel que soit son bord. On rétorquera que rien n’est neutre. Et c’est vrai. En 2022, par exemple, mes critiques à l’égard d’Annie Ernaux (et j’assume tout), m’ont valu plusieurs défriendages Facebook, ainsi que plusieurs désabonnements. Ce qui est dit est dit. 8) Chaque mois, enfin, je relaie des nouvelles d' »Eléphant blanc », la collection que j’ai créée en 2021, soit l’an dernier, sur une proposition de François Mocaër, directeur des éditions Unicité. Il s’agit de promouvoir mes propres auteurs, de jouer les attachés de presse. 9) La série « Carnets de lecture », recense tout ce que j’ai pu parcourir depuis mes dix-huit ans, en 1998. J’ai méticuleusement noté tout ce que je lisais, ou presque (quelques lacunes subsistent) dans un grand cahier « Clairefontaine » bordeaux. Y compris certains périodiques. Et je continue!
  • A propos d' »Eléphant blanc », justement… J’ai pris beaucoup de plaisir avec cette collection, notamment en sortant les derniers ouvrages de Paul Vecchiali (enfin, précisions les choses: j’ai sorti moi-même Chansons et poèmes. Notre ami Jacques Cauda a lui édité La divine mystification à « La Bleue-Turquin », chez Douro, avec une préface de mon cru). Je ne sais ce que deviendra mon pachyderme. On continue, en 2024, avec notamment un beau roman roumain, traduit, sorte de conte baroque et surréaliste, sous la plume de Diana Adamek.
  • Quelles perspectives, pour 2024? 1) Le blog poursuivra son petit bonhomme de chemin, sur le même modèle (une dizaine de billets mensuels. C’est suffisant). 2) Je continuerai mon travail critique, à un rythme moins soutenu. Et là aussi je ne peux recevoir de nouveaux services de presse. Beaucoup à faire. Sachant que j’apprécie aussi, un renvoi d’ascenseur (plusieurs écrivains chroniqués par mes soins ne suivent pas le blog. Ce qui est décevant). En 2023, j’ai publié mon premier article dans Artpress, la prestigieuse revue de Jacques Henric et Catherine Millet, ainsi que dans les colonnes du Figarovox. Cela représente beaucoup, à mes yeux, sans verser dans l’égotrip, le narcissisme. J’accède enfin à un média national, distribué en kiosque. J’en ai parlé, déjà, ici. Je reste attaché à « Saisons de culture », le site créé par Mylène Vignon, ainsi qu’à « ActuaLitté », de Nicolas Gary. 3) Je continuerai à animer, de façon mesurée, le groupe « surréalisme(s) » sur Facebook, en compagnie d’Eric Dubois
  • Et mon écriture? 1) En février-mars, comme annoncé, paraîtra donc Panorama 1. Articles et entretiens. 2005-2021. Assez gros (400 pages), mon cinquième livre semblera sans doute un peu fourre-tout. Il s’agit de réunir tous les articles, parfois de simples notes, et tous les entretiens écrits, entre 2005 et 2021. Richement illustré par Jacques Cauda (cf. précédemment), le volume devrait coûter 20-25 euros. Un second tome de ces « interventions » (pour reprendre le vocable de Michel Houellebecq, très mauvais en 2023), verra le jour en 2025-2026, sur le même modèle. Objectif: donner une vue, modeste, sur la production actuelle, et en particulier sur la production poétique. 2) En ce moment même, je travaille d’arrache-pied au Père-Lachaise surréaliste, en profitant de la bourse Sarane Alexandrian allouée par la SGDL (Société des Gens de Lettres). Il me reste un mois pour tout boucler, et une petite dizaine de créateurs à évoquer. Ensuite? Il faudra envoyer l’essai à plusieurs éditeurs, le re-corriger. Donc je ne sais si cela paraîtra fin 2024 ou début 2025. Sur approximativement 500 pages, le guide évoquera, plus ou moins succinctement, plusieurs centaines de peintres, écrivains, réalisateurs, comédiens, mécènes, etc. On se répète: il s’agit de retrouver des acteurs, même mineurs (surtout mineurs!), du surréalisme sous toutes ses formes. La tâche fut énorme. J’en vois le bout. 3) Je continuerai à tenir mon journal intime (repris en 2014), et consacrerai un long texte à la peinture de Monique Marta. 4) En 2025, j’en reviendrai au récit personnel, peut-être à la poésie, au roman et, pourquoi pas?, au théâtre.

Beaucoup à faire, donc! Beaucoup de littérature, et donc beaucoup d’amour, d’enthousiasme.

Une nouvelle fois, foin des depardieuseries et autres scories actuelles, on vous la souhaite BELLE et LONGUE (l’année 2024, s’entend)!

« Pour ce que rire est le propre de l’homme » (François Rabelais)

Etienne Ruhaud

PS: Ce billet reprend, pour beaucoup, des éléments du billet précédent, le 1er janvier 2023. « Meshui, c’est fait » (Montaigne).

PPS: On me verra moins sur les réseaux sociaux. Sauf pour partager les billets ici écrits. Mon profil servant essentiellement de relai.

PPPS: Un peu de musique, ci-dessous. Nostalgie des années étudiantes, avec « Masters of reality », groupe américain injustement méconnu.

LE GROUPE SURRÉALISME(S). Réflexion.

Chers amis,

J’ai créé le groupe Facebook « surréalisme(s) » il y a environ quatre ans. Nous sommes aujourd’hui 2063. Il s’agissait, pour moi, d’influer une dynamique en invitant plusieurs passionnés à partager leurs connaissances, ainsi que leurs propres travaux. Un incident mineur, sans gravité aucune, m’a incité à re-préciser quelques règles, à ré-affirmer ce que doit être, à mon sens, la philosophie même de « surréalisme(s) », son fonctionnement. Je copie/colle tout simplement le billet posté sur le réseau.

André Breton et Pierre Drieu La Rochelle

Je dois, une nouvelle fois, rappeler les règles du groupe:

  • Nous ne pouvons accueillir de poèmes, de textes ou d’annonces individuelles n’ayant aucun lien avec le surréalisme. Nous ne disons pas que tel ou tel poème soit mauvais, que telle ou telle oeuvre soit inintéressante. Simplement, le surréalisme est un mouvement bien précis, avec des variations. De fait le haïku (entre autres) n’y a pas sa place.
  • Le groupe est apolitique. Un modérateur a cru bon de supprimer un post autour de la figure controversée de Pierre Drieu La Rochelle. Or Drieu, dont nous connaissons l’évolution pour le moins fâcheuse, et l’antisémitisme, a bel et bien été proche du groupe, et en a dressé une satire mordante dans le roman Gilles. Donc, en précisant les choses (ce que je me suis appliqué à faire), on peut parfaitement l’évoquer ici même. En rappelant que certaines figures surréalistes connues ou négligées (Robert Desnos, Sonia Mossé, le fils de José Corti, les frères Simonpoli, etc.), sont mortes en déportation et/ou sous la torture.
  • La censure n’a pas sa place. Il en va de même pour les précédents posts autour de Staline ou de Trotski (sachant que Staline a peu ou prou fait supprimer des millions de Soviétiques). Ces deux figures ont été centrales pour le mouvement surréaliste, quoi qu’on en pense. Je constate au passage que des gens n’intervenant absolument jamais se sont crus investis d’une mission de commissaires idéologiques. Je suis heureux de les voir enfin commenter. Il serait bon qu’ils les fassent aussi quand on parle d’Eluard, ou tout simplement lorsqu’on partage un tableau de Magritte. Apparemment ça ne les intéresse pas des masses, d’où je conclus que le surréalisme en tant que tel les passionne moins que la polémique.
  • Toute discussion à ce propos est ouverte. J’ai créé ce groupe il y a déjà plusieurs années dans un esprit de liberté.
André Breton, Diego Rivera, Léon Trotski, Mexico, 1938.

OÙ EST CHARLIE?

Charlie, version française du personnage imaginé par Martin Handford (dessinateur britannique) en 1987.

Alain Gründ, 83 ans, et dont j’ignorais jusqu’à hier l’existence, nous a donc quittés un 14 juillet, comme Léo Ferré, ou comme Raymond Roussel. Fin d’une (probable) passionnante, mais silencieuse, saga familiale, faite de crises, de rebondissements, de coups littéraires… L’homme aura dirigé, des années durant, les éditions fondées en 1894 par son grand-père, Ernest Gründ, immigré allemand installé dans le sixième arrondissement, rive gauche. Fin stratège, le petit-fils aura sauvé l’entreprise, en ouvrant notamment au livre jeunesse. Rachetée par Editis (cf. article ci-dessous), la structure se maintenait, manifestement.

Parfois certains évènements insoupçonnés vous ramènent à l’enfance: disparition d’un concepteur de dessins animés que vous aimiez sans même connaître son visage, d’un chanteur qui vous avait bercé, d’un acteur que vous croyiez immortel car lié à vos premières années, d’un ami de famille qui vous faisait sauter sur ses genoux, d’un dessinateur dont vous aviez oublié l’existence, mais qui demeurait en un coin de votre mémoire, tel un album qu’on redécouvre à l’occasion d’un déménagement, et qu’on prend plaisir à relire. Mort très jeune, Lautréamont demeure un grand lecteur d’encyclopédies: en témoigne la bizarre érudition des Chants de Maldoror, ce goût pour les animaux. Semblablement, j’ai toujours adoré feuilleter les Larousse illustrés, et aussi les Gründ, qu’on trouvait alors chez Maxilivres à bon prix. Évoquons, entre autres, l’album consacré aux fossiles, ou aux minéraux, qu’on m’avait offerts pour un anniversaire. Évoquons également Où est Charlie?, ce globe-trotter à lunettes, hippie aux cheveux courts, éternel étudiant en marinière, perdu au milieu de la foule, et que nous retrouvions, avec les copains, vers midi et deux, au CDI du collège, entre deux lectures du Guinness des Records, et autres revues érotiques soigneusement cachées, par crainte de se faire coincer par la documentaliste quinquagénaire, qui poussait de discrets et sages soupirs, non dupe de notre manège… Ce même Charlie, qui aura assuré de confortables revenus à Gründ, sa continuité… (quelle plus grande récompense, au passage, que de publier un ouvrage faisant à ce point date, connu de tous? Passé dans l’imaginaire collectif? Même si Charlie est d’origine anglaise, ce qui casse un peu le mythe).

L’auteur et traducteur Denis Montebello estime qu’écrire, c’est d’abord réécrire son nom. Quid de l’éditeur? Car « Grund » signifie « sol », « terrain », ou « racine » dans la langue de Goethe. Sans le tréma, me direz-vous, j’en conviens. Toutefois, comment ne pas établir une analogie entre le patronyme, et l’objet même des éditions? Car Gründ publiait beaucoup de vulgarisation, et donc nous ramenait à la base. Au Grund, donc.

Ainsi merveilles et plaisirs s’en vont, sans bruit (Maurice Pialat).

https://actualitte.com/article/106983/edition/ancien-directeur-des-editions-grund-alain-grund-est-mort

RÉSEAUX SOCIAUX (ET TEMPS PERDU)

Les gens qui n’interviennent sur ton mur que pour te corriger et te faire comprendre qu’ils suivent une sorte de doxa officielle, ayant valeur de blanc-seing moral, alors qu’ils ne commentent absolument jamais les dizaines de posts autour de la poésie et des beaux-arts… Alors certes, prendre le contre-pied de tout en se voulant transgressif tel un adolescent pénible… Mais venir te condamner en exhibant ta générosité supposée à l’égard d’un pays lointain où tu n’as jamais mis les pieds et dont tu te moques pas mal, parce que c’est la tendance du moment… Ou exclure Pierre, Paul et Tartempion parce qu’il a choisi les extrêmes et bien le faire savoir sur les réseaux, histoire de se décharger, d’exprimer sa propre intolérance refoulée… Restons décents.

MÉMOIRE DES POÈTES (ET EFFICACITÉ SUISSE)

Youki Desnos (Lucie Badoud), 1903-1966

Pour les besoins de mon essai sur les tombes de surréalistes (je finis le livre cette année), dimanche, j’écris à la municipalité d’une petite commune du Vaudois, où un poète bien oublié aujourd’hui est mort en 1982. Le lundi matin, à 9 heures, un employé communal me confirme que l’homme a bien été inhumé dans la commune en question. Ce même dimanche, j’écris a une autre petite commune de Dordogne (où reposent Youki Desnos et son dernier mari, le peintre Henry Espinouze, emportés tous deux au même âge par l’alcool et le tabac). Toujours pas de réponse. La réalité colle parfois aux clichés.

« LES PARTICULES » SUR FRANCE 2 (vue sommaire).

Je ne reviendrai pas, a priori, sur Anéantir. Le livre m’a déçu, à plusieurs titres. Il ne me paraît pas fini.

Lundi 31 janvier, France 2 diffusait une adaptation des Particules élémentaires. Là aussi, cela mériterait un article complet. Mais la grande presse compte tant et tant de critiques avisés… Je suis là aussi partagé. Je recopie donc le mail envoyé hier à un ami et collègue, abonné à PAGE PAYSAGE, qui a trouvé la production assez mauvaise. Le téléfilm est par ailleurs encore disponible sur le site de France 2 (pour combien de temps?). Je vais tenter de me procurer le DVD. 

https://www.france.tv/france-2/les-particules-elementaires/

 

Bonjour J.,
  Merci pour votre SMS. J’ai bien regardé le téléfilm. Que dire?

  • il me paraît impossible, au vrai, d’adapter réellement le roman. Sauf à travers une minisérie Netflix par exemple (en sept ou huit heures). L’intrigue est réellement complexe et Houellebecq fait de longues digressions philosophiques. De plus l’aspect choquant du livre (le racisme de Bruno, professeur de Lettres obsédé et ses pamphlets négrophobes, liés à sa propre frustration), ou les propos sur les femmes seraient tout simplement censurés. Donc cela me paraît compliqué. Je crois que certains livres ne sont pas faits pour l’écran, à l’instar du Voyage au bout de la nuit ou d’A la recherche du temps perdu. 
  • j’ai trouvé que les prises de vue étaient malgré tout réussies, notamment en Irlande. Les acteurs sont plutôt bons, également, en particulier celui qui incarne Bruno, ou la mère. J’ai ri un quart d’heure durant après la scène de la classe, lorsque Bruno pelote la lycéenne et se rend compte de sa bévue. C’est proprement désopilant.
  • bonne restitution de l’époque aussi, à travers les costumes, les attitudes, etc. 

Donc je serais moins sévère que vous. Je pense juste, encore une fois, que le défi est trop important. Parfois, on devrait se contenter du livre. L’adaptation allemande était elle aussi ratée. Au fond, j’ai préféré la pièce de théâtre, très impressionnante, aux Bouffes du Nord, il y a quelques années. Ou encore la version d‘Extension du domaine de la lutte, de Philippe Harel. José Garcia y campe un Raphaël Tisserand très convaincant, en puceau trentenaire. Il s’agit d’un roman sur les incels, en vérité. Soit ces hommes qui ne couchent pas. Le réalisateur a aussi dû zapper la relation entre Christiane et Bruno, pourtant centrale. Manque de temps (deux heures, cela n’est pas suffisant). Au fond, le TV film s’adresse à des houellebecquiens, à des initiés. Toute littérature n’a pas vocation à être filmée, transcrite.

A très vite, cher J.

ETIENNE

« ANIMAUX » À LA BNF

Animaux catalogué à la BNF!

Je l’ai déjà dit ici: un jour, au rez-de-jardin, je suis tombé sur le livre d’un surréaliste belge (publié dans les années 60), et qui n’avait jamais été massicoté. Les pages étaient donc encore reliées, ce qui signifie que personne ne l’avait lu en presque 55 ans. J’ai donc demandé à une bibliothécaire d’opérer, de peur d’abîmer ce beau volume bordeaux, évoquant Maldoror. Le livre n’avait donc bénéficié d’aucun like ni commentaire, mais au moins il était là, posé sur l’étagère, comme pour m’attendre. Et cela remplacera toujours n’importe quel blog ou n’importe quel texte Facebook non imprimé, destiné malgré tout à une disparition, à plus ou moins long terme. On me répliquera que la BNF disparaîtra d’ici la fin des temps, ou d’ici la fin de la France, que je souhaite la plus tardive possible. Certes. Mais d’ici là… Rien ne remplacera jamais l’imprimé. Joie narcissique, donc, à savoir mes propres livres conservés en ce lieu prestigieux, à côté des Reader’s digests comme des Harlequins, comme des Balzac. C’est dans ces moments-là que tout le reste, soit le nombre de ventes, la diffusion, demeurent indifférents. Accessoires, à tout le moins.

https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb46888381x?fbclid=IwAR2mhomKrHLnAxa7Te4K9PIn914dfA0h4YbR2bXSkKRWdK-TEnUBcgPXfR8

SERVICE DE PRESSE?

Je me demande si Flammarion va m’envoyer un service de presse d’Anéantir. Ils l’avaient fait pour Sérotonine, en 2018, puisque j’avais reçu le roman quelques jours avant sa sortie officielle. Je peux lire l’ouvrage d’une manière ou d’une autre, mais me sens séduit par le nouveau format imaginé par Houellebecq (cartonné, en dur, assez chic). J’aime aussi la longueur de l’ouvrage: 730 pages, soit nettement plus que les récits cachectiques que je lis bien souvent. L’homme ne s’est pas moqué de nous. A voir aussi s’il ne s’agit pas de remplissage, comme ce fut le cas pour La carte et le territoire. Du moins dans la dernière partie, très inspirée par le néo-polar à la Jonquet, en moins bon. Cela m’arrangerait quelque peu, en fait, qu’ils ne me l’envoient pas, car alors je ne me sentirais pas obligé de produire un papier, ce qui implique du travail, de la concentration, quand j’ai tant à faire par ailleurs (finir mes critiques, finir mes livres, faire des entretiens, publier pour « Eléphant blanc »). Etrange. Je me sens déjà comme intimidé par la taille du volume, par le fond.

En attendant je pense vraiment qu’on gagnerait à LIRE vraiment ce qu’écrit Houellebecq, quitte à le dénigrer par la suite. Je veux dire: on a parfaitement le droit de ne pas l’aimer ou simplement d’y être indifférent. Je suis moi-même sceptique bien souvent, vois bien qu’il y a un fond de manipulation derrière tout cela, que la presse en fait trop (j’en participe en parlant de lui. Sauf que je ne suis pas la presse et n’ai aucun pouvoir décisionnaire). Je n’écoute pas les gens qui n’ont pas lu. Point barre. Si le seul argument, c’est « oui c’est un réac et en plus c’est commercial », (en sous-entendant qu’on est nécessairement dans le camp du Bien, et comme si Houellebecq faisait du Zemmour light), aucun intérêt. On ne peut pas évoquer sérieusement un auteur qu’on ne connaît pas intimement, ou un pays dans lequel on n’a jamais mis les pieds. J’aime, à titre privé, et quand j’ai le temps, remonter à la source, soit au texte même: Houellebecq, donc, Rose bonbon, Richard Millet, Sacher-Masoch, L.F. Céline ou Les versets sataniques. Afin de savoir de quoi on retourne, quitte à condamner par la suite.

POSTÉRITÉ (FANTASME)

Être l’homme d’un seul livre, ou d’un seul personnage. Comme on pourrait être l’homme (ou la femme), d’une seule mélodie, ou d’un seul vers, d’un seul slogan, l’acteur d’une seule réplique que personne n’oublierait. Quitte à avoir évoqué un lundi où on s’aime, le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles. Comme on pourrait avoir créé un seul type, adjectival, tel « ubuesque », ou « kafkaïen ». Ou « un Harpagon », ou « le soldat Chauvin », ou « Bambi », ou « Don Quichotte », ou « Pinocchio »… Ou entendre, pour un musicien, tel riff, tel refrain, repris dans un jouet pour enfants, ou dans de nombreux films… Quitte à ce que votre nom, donc votre ego, soit à jamais perdu dans la mémoire des foules. Que le nom de votre personnage soit même plus important que votre propre nom, dont personne ne se souvienne, ou qui s’efface dans un cimetière de banlieue, derrière la créature, la phrase, la créature, l’image, précisément, que vous auriez créée. Et qui vous double justement, en dépassant votre existence transitoire.

LA POSITION DU DÉCIDEUR

Sans être moi-même à proprement parler éditeur, ni directeur d’une revue (sinon électronique), je mesure désormais combien la position du décideur, est compliquée à l’égard de l’auteur. Car l’auteur, en France du moins, pense fréquemment que l’éditeur est à son service, et hurle souvent à l’incompréhension en cas de refus, ce qui est moins le cas outre-Atlantique. Un jour, un enseignant m’a expliqué en quoi l’auteur, fondamentalement, demeurait pour l’éditeur un prestataire de services. Comme 95 pour cent des étudiants, j’étais imprégné de marxisme (encore aujourd’hui) car c’était l’idéologie dominante à la faculté ès Lettres (comme le libéralisme l’est dans les écoles de commerce, ou en fac de droite), et de fait l’allégorie économique me choquait. Mais dans le fond, on est généralement choqué par les vérités. Et en effet, d’un point de vue financier, stricto sensu, l’auteur doit permettre à l’éditeur de s’en sortir, c’est-à-dire être rentable. Ou, à défaut, l’éditeur doit trouver des auteurs qui lui permettent ensuite de combler une sorte de trou financier, par exemple en publiant une tête d’affiche avant de sortir un livre de poésie, ou un texte expérimental qui se vendra moins (à l’instar de P.O.L.). De la même manière que Gus Van Sant sort un film plus commercial, tel Harvey milk après avoir réalisé « La trilogie de la mort », qui a probablement moins rapporté. Etant aux USA, où il faut bien gagner sa croûte, et où les cinéastes jouissent certes d’une liberté totale, mais n’ont pas la position de réalisateurs fonctionnaires, comme c’était le cas en ex-URSS. La position du décideur (éditeur, parent, dirigeant, professeur qui met une sale note), est inconfortable. Parfois on manque d’empathie (je m’inclue dans le « on ». Car on se sent toujours blessé quand on est éconduit). Pardonnez le ton péremptoire, le manque d’approfondissement. Cela fait suite à plusieurs discussions menées avec des amis hier soir.