
Alain Gründ, 83 ans, et dont j’ignorais jusqu’à hier l’existence, nous a donc quittés un 14 juillet, comme Léo Ferré, ou comme Raymond Roussel. Fin d’une (probable) passionnante, mais silencieuse, saga familiale, faite de crises, de rebondissements, de coups littéraires… L’homme aura dirigé, des années durant, les éditions fondées en 1894 par son grand-père, Ernest Gründ, immigré allemand installé dans le sixième arrondissement, rive gauche. Fin stratège, le petit-fils aura sauvé l’entreprise, en ouvrant notamment au livre jeunesse. Rachetée par Editis (cf. article ci-dessous), la structure se maintenait, manifestement.
Parfois certains évènements insoupçonnés vous ramènent à l’enfance: disparition d’un concepteur de dessins animés que vous aimiez sans même connaître son visage, d’un chanteur qui vous avait bercé, d’un acteur que vous croyiez immortel car lié à vos premières années, d’un ami de famille qui vous faisait sauter sur ses genoux, d’un dessinateur dont vous aviez oublié l’existence, mais qui demeurait en un coin de votre mémoire, tel un album qu’on redécouvre à l’occasion d’un déménagement, et qu’on prend plaisir à relire. Mort très jeune, Lautréamont demeure un grand lecteur d’encyclopédies: en témoigne la bizarre érudition des Chants de Maldoror, ce goût pour les animaux. Semblablement, j’ai toujours adoré feuilleter les Larousse illustrés, et aussi les Gründ, qu’on trouvait alors chez Maxilivres à bon prix. Évoquons, entre autres, l’album consacré aux fossiles, ou aux minéraux, qu’on m’avait offerts pour un anniversaire. Évoquons également Où est Charlie?, ce globe-trotter à lunettes, hippie aux cheveux courts, éternel étudiant en marinière, perdu au milieu de la foule, et que nous retrouvions, avec les copains, vers midi et deux, au CDI du collège, entre deux lectures du Guinness des Records, et autres revues érotiques soigneusement cachées, par crainte de se faire coincer par la documentaliste quinquagénaire, qui poussait de discrets et sages soupirs, non dupe de notre manège… Ce même Charlie, qui aura assuré de confortables revenus à Gründ, sa continuité… (quelle plus grande récompense, au passage, que de publier un ouvrage faisant à ce point date, connu de tous? Passé dans l’imaginaire collectif? Même si Charlie est d’origine anglaise, ce qui casse un peu le mythe).
L’auteur et traducteur Denis Montebello estime qu’écrire, c’est d’abord réécrire son nom. Quid de l’éditeur? Car « Grund » signifie « sol », « terrain », ou « racine » dans la langue de Goethe. Sans le tréma, me direz-vous, j’en conviens. Toutefois, comment ne pas établir une analogie entre le patronyme, et l’objet même des éditions? Car Gründ publiait beaucoup de vulgarisation, et donc nous ramenait à la base. Au Grund, donc.
Ainsi merveilles et plaisirs s’en vont, sans bruit (Maurice Pialat).