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BIBLIO-POÉSIE 3: LE CHOIX DE MARILYNE BERTONCINI

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   Le cinéaste et poète perse Abbas Kiarostami,عباس کیارستمی, est mort il y a quelques heures, à Paris, d’un cancer du foie. Série noire, ces derniers jours! Ayant résolu de ne pas donner un tour nécrologique au blog, qui n’est pas un cimetière, et ne me sentant pas la capacité d’évoquer une si brillante figure, je ne parlerai pas de son parcours. De nombreux articles ont été écrits, hier et aujourd’hui. L’homme avait choisi de rester en Iran après la Révolution, et ce malgré le recul intellectuel et civilisationnel opéré à cette époque, malgré la censure, toutes choses prédites par Houellebecq dans son dernier, et funeste roman. Abbas Kiarostami sera enterré à Téhéran, où il était né, soixante-seize ans plus tôt, au sein d’une famille modeste.

La page Wikipédia Abbas Kiarostami

  Revenons en à la poésie pure, celle qu’appréciait, et pratiquait, Kiarostami. Il y a déjà trois mois, j’ai lancé ma nouvelle rubrique bibliopoétique, en demandant aux lecteurs assidus (il en existe), de me donner la liste des dix ou vingt recueils les ayant le plus marqués. Ayant eu de nombreuses réponses, j’ai promis de publier une liste par mois, en alternant masculin et féminin, c’est-à-dire en éditant une liste donnée par une femme, puis une liste donnée par un homme, d’un mois à l’autre, et ce dans un souci de parité. Si vous comprenez quelque chose à ce que j’ai dit, c’est que je me suis mal exprimé, pour reprendre les termes de Jean-Luc Godard…

    Le dernier « Biblio-poésie » m’a été soufflé par Marc-Louis Questin, (auteur du Crépuscule des otaries, que je viens de chroniquer pour le prochain numéro de Diérèse. J’y reviendrai). Je donne cette fois la parole à la poétesse niçoise, originaire du Nord, Marilyne Bertoncini:

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1 – Alcools (Guillaume Apollinaire) –

2 – Les Fleurs du Mal (Charles Baudelaire)

3 – Les Villes Tentaculaires (Emile Verhaeren)

4 – Les Chimères (Gérard de Nerval) –

5 – Paroles (Jacques Prévert)

6 – La Centaine d’amour (Pablo Neruda)

7- Tout Jabes –

8 – Les Chants de Maldoror (Lautréamont) –

9 – Arbres d’Hiver (Sylivia Plath) –

10 – Ossi di Sepia (Eugenio Montale) –

11 – La Gerusalemme liberata (Torquato Tasso) –

12 – plusieurs recueils de Kenneth White –

13 – Le Parti pris des choses (Francis Ponge)

14 – La Complainte du vieux marin (Samuel Taylor Coleridge)

15 et suivants – toute la poésie d’Eluard, Aragon, Juarroz, et les poèmes de Martin Harrison – parce que je les ai traduits et qu’ils continuent de m’habiter (Serpent Arc-en-ciel, chez « Recours au Poème » éditeurs) ….

  Je livre la liste de façon quelque peu brute. Marilyne, dont j’ai évoqué le blog « Minotaur/a », est à la fois docteure ès Lettres, traductrice, et auteure, et animatrice du site « Recours au poème ». Sa biblio-poésie étant à la fois riche et variée, j’avoue me trouver un peu marri pour privilégier telle ou telle figure, pour citer tel ou tel poète…

Minotaur/a, le blog de Marilyne Bertoncini

« Recours au poème »

  Après moult tergiversations, je m’attacherai à citer Émile Verhaeren (1855-1916), dont les textes, évoquant la ville industrielle wallonne, m’ont fortement marqué durant mes études. Hommage est ainsi rendu à la Belgique, précieuse terre de poésie. J’en reviens également à un style plus classique, versifiée, après avoir évoqué, à plusieurs reprises, des figures actuelles:

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LE PORT (1895)

Toute la mer va vers la ville !

Son port est surmonté d’un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.

Son port est pluvieux et suie à travers brumes,
Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d’amarres.

Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tournant dans l’air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !

Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous les nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d’or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l’univers !

Dites ! les docks bondés jusques au faite
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d’éternité : marbres et bois,
Que l’on achète,
Et que l’on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu’il a fallu pour ces conquêtes.

Toute la mer va vers la ville !
La mer pesante, ardente et libre,
Qui tient la terre en équilibre;
La mer que domine la loi des multitudes,
La mer où les courants tracent les certitudes ;
La mer et ses vagues coalisées,
Comme un désir multiple et fou,
Qui renversent les rocs depuis mille ans debout
Et retombent et s’effacent, égalisées;
La mer dont chaque lame ébauche une tendresse
Ou voile une fureur ; la mer plane ou sauvage ;
La mer qui inquiète et angoisse et oppresse
De l’ivresse de son image.

Toute la mer va vers la ville !

Son port est parsemé et scintillant de feux
Et sillonné de rails fuyants et lumineux.

Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnent
D’un bruit souterrain d’eau qui s’enfle et ronfle en elles.

Son port est lourd d’odeurs de naphte et de carbone
Qui s’épandent, au long des quais, par des ruelles.
Son port est fabuleux de déesses sculptées
A l’avant des vaisseaux dont les mâts d’or s’exaltent.

Son port est solennel de tempêtes domptées
Et des havres d’airain, de grès et de basalte.

BIBLIO-POÉSIE 2

Liebe Freunde und Freundinen,

  … Oui, mes années de pénible apprentissage de l’allemand, sous l’autorité d’un professeur aussi sévère qu’efficace, m’ont laissé quelques séquelles, mais aussi une certaine, et non suspecte, germanophilie, l’amour d’une langue exigeante et carrée, peu appréciée pour des raisons de sonorité, de difficulté et d’Histoire.

  Mais tel n’est pas le propos. J’ai laissé ce blog en friches pendant quinze jours, occupé que j’étais à diverses choses, et surtout à m’éparpiller. Tempus fugit! Dans mon avant-dernier billet, je vous ai sollicités pour établir une bibliographie poétique. Nombre d’entre vous ont répondu à l’appel et je les en remercie. Il va de soi que je leur offre le modeste cadeau promis: un calepin et un bic, objets dont ils feront bon usage, je pense, pour écrire des poèmes, ou établir des listes de courses (cela ne me regarde plus). Pour les gens que je rencontrerai au marché de la poésie, évidemment, ce sera café, et une franche poignée de mains, ou trois bises. Au choix.

  En tout, donc, j’ai reçu seize listes, avec des constantes (l’axe Baudelaire-Apollinaire-Aragon-Rimbaud-Verlaine et parfois Claudel), et parfois de savoureux résultats inattendus. Par où commencer? A raison d’une liste par mois, on se retrouve à planifier les prochaines « Biblio-poésies » jusqu’en 2017. Soyez donc patients, vous qui m’avez écrit. Chaque liste est intéressante. Et chacune sera citée, sachant que j’ai tout prélevé, et copié/collé dans un fichier word.

  En ce beau, mais capricieux, mois de mai, j’ouvre les hostilités, la joute, avec la liste de mon ami Marc-Louis Questin, que plusieurs connaissent, notamment pour sa magnifique Anthologie de la poésie gothique, parue chez Unicité. Auteur, féru d’ésotérisme, d’Histoire, de musique, Marc-Louis, dont vous pouvez trouver une biographie sur Wikipédia (je joins le lien à la fin de l’article) anime depuis plusieurs années le fameux Cénacle du Cygne, où j’interviens fréquemment en compagnie de Jean Hautepierre, un autre ami que j’ai déjà évoqué sur le blog, et dont je reparlerai. Ce Cénacle, qui se tient au bar « La Cantada II », réunit des artistes variés, des plasticiens, des cinéastes, des écrivains, des danseurs. L’esprit gothique, parfois caustique, y est de mise, mais chacun vient comme il veut, comme il est.

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  La liste de Marc-Louis, alias Lord Mandrake, est à la fois variée et passionnante. On y retrouve des surréalistes, des classiques (Lautréamont, Baudelaire…), mais aussi des étrangers:

1) Howl (suivi de Kaddish), Allen Ginsberg
2) Les Chants de Maldoror, Lautréamont
3) Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire
4) Trophées, José-Maria de Heredia
5) Poèmes barbares, Leconte de Lisle
6) Poésies, Stéphane Mallarme
7) Sébastien en rêve, Georg Trakl
8) Les Campagnes hallucinées, Emile Verhaeren
9) Le Condamné à mort, Jean Genet
10) Chants d’innocence et d’expérience, William Blake
11) La Victoire à l’ombre des ailes, Stanislas Rodanski
12) Les Contemplations, Victor Hugo
13) Le Contre-Ciel, Rene Daumal
14) Cendres et poussières, Renée Vivien
15) Les Minutes de sable mémorial, Alfred Jarry

Et bien sur Dante, Homère, Shakespeare, Léopardi, Raymond Carver, Dylan Thomas, Gottfried Benn, Jean Lorrain, Claude Pélieu, Jacques Audiberti, Gherasim Luca, William-Butler Yeats, Samuel Taylor Coleridge, Roger Gilbert-Lecomte, Friedrich Hölderlin, Clovis Hesteau de Nuysement… »

  Quel poète choisir parmi tous ceux évoqués ici? La liste est riche, diverse. Ne connaissant pas Renée Vivien, et ayant résolu de citer une poétesse (La femme aussi sera poète! selon Rimbaud), j’opterai donc pour ce court texte sensible, écrit en vers réguliers, mais souples. N’y voyez pas, de grâce, un choix politique, idéologique. Le politiquement correct, cet espèce de stalinisme light, feutré et pervers, étouffe le débat, la littérature. Je me répète, mais ici seul m’importe le style, la sensibilité:

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Sommeil

Ô Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette !
Ton visage s’incline éternellement las,
Et le songe fleurit à l’ombre de tes pas,
Ainsi qu’une nocturne et sombre violette.

Les parfums affaiblis et les astres décrus
Revivent dans tes mains aux pâles transparences
Évocateur d’espoirs et vainqueur de souffrances
Qui nous rends la beauté des êtres disparus.

  Poétesse torturée, anorexique, toxicomane, lesbienne, voyageuse, la belle Renée Vivien (1877-1909), qui mourut prématurément et dont la tombe se trouve au cimetière de Passy, ouvre donc le bal, sachant que chaque nouvelle biblio-poésie sera publiée au milieu du mois. Merci encore à toutes et tous!

Biographie de Marc-Louis Questin sur Wikipédia (cliquer sur le lien)

Biographie de Renée Vivien sur Wikipédia (cliquer sur le lien)

 

BIBLIO-POÉSIE 1

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   Il y a deux jours, j’ai demandé à mes amis poètes, ou amateurs de poésie, de me transmettre une liste de dix à vingt recueils les ayant vraiment marqués. La récompense assortie, pour ce petit effort, cette petite contribution intellectuelle, était un stylo bic noir et un calepin de supermarché, ou un café au bar (au choix). Sachant naturellement que je n’ai pas les moyens de les inviter au Fouquet’s, ou aux Deux-Magots.

  Plusieurs de mes contacts Facebook se sont prêtés au jeu, et recevront donc leur petit cadeau. Moi-même, en premier, j’ai défini vingt titres que vous trouverez ci-dessous. Chaque mois, ainsi, je citerai une nouvelle biblio-poésie d’ami, en y ajoutant un extrait tiré précisément d’un des livres évoqués. Le but demeure évidemment de partager la parole poétique, de se faire découvrir d’autres horizons, d’autres créateurs. Très différentes les unes des autres, émises par des personnes très diverses, les listes comportent parfois les mêmes noms (Baudelaire, Aragon, Apollinaire, Rimbaud…), mais parfois quelques surprises, quelques pépites. Certains ont évoqué des auteurs étrangers, perses, allemands, italiens, anciens, récents, contemporains, connus ou inconnus, autant d’ouvertures, de découvertes, de possibles…

  Le jeu est toujours valable, et la prime symbolique sera toujours offerte, pour les plus motivés. En revanche, il vous faudra patienter pour voir votre liste publiée. J’édicte brièvement les règles du jeu, avant de citer mes propres préférences:

  1. Pas d’anthologie.
  2. Pas de recueil en langue étrangère (des recueils écrits par des étrangers, oui, bien sûr, mais pas de recueil en langue étrangère)
  3. De la chanson, pourquoi pas, mais sans en abuser! Chanson et poésie ne sont pas similaires.
  4. Dix titres minimum. Vingt maximum.
  5. L’ordre d’apparition des recueils dans la liste ne veut pas dire que vous en préfériez untel ou untel.
  6. Vous pouvez m’envoyer la liste par mail (er10@hotmail.fr), ou en l’écrivant en commentaire ci-dessous.
  7. Ne réfléchissez pas trop en rédigeant la liste. Soyez spontanés.

Voilà. Excellente fin de semaine à toutes et tous, et merci d’avance!

 

BIBLIO-POÉSIE D’ETIENNE RUHAUD:

1) Les Fleurs du mal (Charles Baudelaire)

2) Les illuminations (Arthur Rimbaud)

3) L’entrée dans la baie et la prise de la ville de Rio de Janeiro en 1711 (Jean Ristat)

4) Poésies (Michel Houellebecq)

5) L’ombilic des limbes (Antonin Artaud)

6) Fables (Jean de La Fontaine)

7) Bords de mer (Raymond Bozier)

8) Alcools (Guillaume Apollinaire)

9) La mort viendra et elle aura tes yeux (César Pavese)

10) Oeuvres (Danielle Collobert)

11) Dominique aujourdhui présente (Paul Eluard)

12) Destinée arbitraire (Robert Desnos)

13) Cantos (Ezra Pound)

14) Les chimères (Gérard de Nerval)

15) Poèmes (Edgar Poe) 

16) Les Chants de Maldoror (Lautréamont)

17) La guerre entre les arbres (Jacques Abeille)

18) Le roman inachevé (Louis Aragon)

19) Clair de terre (André Breton)

20) Gaspard de la nuit (Aloysius Bertrand)

21) Il en manque tant d’autres!

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La mort viendra et elle aura tes yeux –
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre, muets.

Verrà la morte e avrà i tuoi occhi-
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla sera, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola
un grido taciuto, un silenzio.
Così li vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.

Per tutti la morte ha uno sguardo.
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi.
Sarà come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.

1936