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VOIX DES AUTEURS: GUILLAUME BASQUIN (entretien paru sur le site « Pile et face » en avril 2023).



Nous publions ici un entretien passé avec Guillaume Basquin, auteur et directeur des éditions Tinbad, paru en avril 2023 sur le site « Pile et face », consacré à Sollers et à ses admirateurs. Les propos de Guillaume ont été reproduits tels quels, sans esprit de censure.

Guillaume Basquin en Suède, le 19 décembre 2021.

Né en 1969 à Fontenay-aux-Roses, pilote de ligne mais aussi critique pour diverses revues (L’Infini, En attendant Nadeau, Artpress, Recours au poème, Libr-Critique…) Guillaume Basquin a fondé les Éditions Tinbad en 2015. Aidé par sa compagne Christelle Mercier, l’homme opte, d’emblée, pour une forme de radicalité esthétique proche de l’ancien Tel Quel. Résolument expérimentaux, les livres de « Tinbad » s’éloignent délibérément des grosses machines éditoriales, du roman commercial comme de la poésie lyrique, vendeuse. Également essayiste, l’homme a, en outre, écrit deux livres, là aussi extrêmes, semblables à des cris proférés sur plusieurs centaines de pages : (L)ivre de papier (2016), et L’Histoire splendide (2022).

Étienne Ruhaud est écrivain, critique, et dirige la collection « Éléphant blanc » aux Éditions unicité.

Préface à la publication de cet entretien :

Cet entretien, à l’initiative d’Étienne Ruhaud, qui collabore avec eux régulièrement, devait paraître sur le site « littéraire » français Actualitté ; il a été censuré par la direction du site, à cause de propos jugés non conformes à la doxa du Covid (voir l’ouvrage capital de Laurent Mucchielli à ce propos). J’ai refusé cette censure qui dénaturait totalement le propos même de mon livre, qui est de lutter contre toute Terreur « sanitaire ». Lisant, par hasard, L’École des femmes du divin Molière, je place cette citation de sa préface à l’impression de sa pièce en exergue de cet entretien : « Je sais qu’on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs, et rende raison de mon ouvrage ; et sans doute que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation, pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres.  » GB

1/ Étienne Ruhaud : Tu es d’abord pilote de ligne. Comment es-tu devenu éditeur, puis écrivain ? Ta profession a-t-elle une influence sur ta production ?

Guillaume Basquin : En fait, je n’ai jamais voulu devenir éditeur, ni même écrire. Cela s’est imposé à moi : « on m’a écrit ». Lorsque j’ai assisté à mes premières « projections » numériques HD de films, j’ai trouvé que c’était une telle catastrophe esthétique par rapport à la projection de type Lumière (à travers une pellicule argentique), que j’ai voulu d’abord empêcher que ça arrive… puis témoigner. Ce livre a été très dur à publier, parce que mon nom était totalement inconnu et le combat engagé déjà considéré comme perdu d’avance. Toutefois, au bout d’environ quarante refus et après avoir attendu neuf mois (une gestation !), j’ai fini par dégoter une excellente maison, Paris Expérimental. Immobilisé suite à une hernie discale, j’ai ensuite commencé un livre en forme de flux de conscience contre la numérisation et virtualisation du monde : (L)Ivre de papier. La forme est radicale, non ponctuée, sans alinéas ni chapitres ni majuscules, comme une sorte de refus de communication. Les éditeurs, à l’exception de Paris Expérimental, qui m’aida même à le corriger (mais ne pouvait pas en envisager la publication), refusaient de le lire… Jacques Henric, avec qui j’étais devenu ami, me dit que même Philippe Sollers, sans sa revue (Tel Quel), aurait probablement eu du mal à publier son Paradis en 1981. Un autre ami, Jean Durançon, venu de l’écriture sur le cinéma, essayait de m’aider, et m’avait mis en relation avec un certain Cyril Huot, qui était en train de monter une maison d’édition à Arles. Ce fut le premier « éditeur » ultra-enthousiaste de ce manuscrit… Très vite toutefois Huot m’annonça qu’il avait dû renoncer à monter sa maison faute d’avoir trouvé un diffuseur. Très dépité, je lui demandai ce qu’il avait comme texte à publier ; il m’envoya alors un impressionnant et excellent texte, Le spectre de Thomas Bernhard. Décision fut prise alors d’inverser les rôles : nous publierions, ma femme (Christelle Mercier) et moi, nos deux livres respectifs en même temps : Tinbad était né ! (On a, depuis, publié cinq livres de Cyril Huot, dont son chef-d’œuvre posthume, Caro Pasolini — Lettres à une brute, en 2023.)

2/ ER : Dans un article à charge, Marc-Édouard Nabe évoque le Sollers des années 80, de Tel Quel, pour parler de « Tinbad ». Le propos se veut blessant. Pour autant, force est de constater que tes publications s’inscrivent dans l’esprit expérimental, en partie initié par Sollers. Rejettes-tu l’écriture classique ? Qu’est-ce qui préside à tes choix ?

GB : Nabe ici fait un éloge involontaire de nos éditions ; en privé il m’avait confié « adorer » le nom « Tinbad » dont il connaissait l’origine (« Sinbad the Sailor and Tinbad the Tailor » dans Ulysses de James Joyce, écrivain qu’il vénère) ; mais une fâcherie annexe (j’allais publier un essai sur Jacques Henric, l’un de ses ennemis jurés) a fait qu’il a tactiquement décidé de m’insulter. Sinon, je suis en effet un très grand admirateur des folles expérimentations formelles d’un courant qui débuterait, disons, avec Laurence Sterne, l’inoubliable auteur de Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, passerait par les folles machines littéraires rousseliennes, traverserait toute l’œuvre tardive de James Joyce (et en particulier le long monologue déponctué de Molly dans Ulysses, qui comme lecteur m’avait absolument bouleversé par son audace tant formelle que déclarative), et qui s’achèverait avec les deux Paradis de Philippe Sollers. Tous textes qui m’ont mis dans un état intérieur d’excitation maximale. Comme j’ai commencé à écrire très tard (après quarante ans, soit à l’âge à peu près où Sollers publia son Paradis I), je me suis vite dit que je n’allais pas débuter par du vieux style dixneuviémiste pour établir mon nom de plume, mais que je devais aller au cœur de mon beau souci : aller aussi loin, si possible, que ces monuments ; ou tout du moins me confronter à eux…
Comme éditeur, j’ai à peu près la même exigence : est-ce que l’écriture de tel ou tel auteur s’essaie à inventer une forme ? Une voix intérieure (sa musique), toutefois, peut suffire à me convaincre.JPEG - 21.9 ko« ce qui vient avant / ce qui vient après »

3/ ER : (L)ivre de papier se présente comme un assez long texte, sans ponctuation, écrit en caractères gras. Pourquoi avoir choisi cette forme ?

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GB : J’ai en partie déjà répondu ; mais j’ajoute ceci : après la quasi-disparition de la pellicule argentique de film, j’ai cru (en 2012-2013) que l’imprimé en général allait lui aussi disparaître. Très déprimé et angoissé, j’ai alors décidé d’écrire déponctué. Cela constituait en soi une sorte de refus de communication, par « illisibilité ». Ironiquement, il s’agissait aussi de composer un gigantesque tweet de plus de 230 pages : to tweet or not to tweet that is the (new) question !…
D’autre part, ayant lu les nombreuses analyses de Paradis, je savais que la Bible, en hébreu, avait, elle aussi, été rédigée sans ponctuation. Je connaissais aussi bien sûr l’existence des rouleaux de Qumran. Armé de ce savoir nouveau, j’estimais qu’écrire ainsi (c’est-à-dire sous forme de rouleau textuel) semblait parfaitement approprié à un texte de type prophétique : Tu n’assassineras point le livre !…

4/ ER : Se mêle un entrelac de références érudites, clairement revendiquées et assumées. On sait que tu es d’abord essayiste, puisque tu as consacré plusieurs livres au cinéma, aux images et à la littérature (Fondu au noir, Paris expérimental, 2013, Jacques Henri entre image et texte, Tinbad, 2015, et Jean-Jacques Schuhl, du dandysme en littérature, Honoré Champion, 2016). Dans Palimpsestes (Le Seuil, 1982), Gérard Genette établit les rapports de transtextualité, sous-entendant que chaque texte est d’abord réécriture. Qu’en penses-tu ?

GB : Je suis un grand admirateur des théories de Genette, non seulement de cette idée de réécriture transtextuelle (en quelque sorte, j’ai réécrit Paradis… en y ajoutant toutefois le montage cinématographique, par tout un jeu de gras et non gras ; le non gras étant utilisé pour le montage, ou suture, dans mon rouleau ivre de papier), mais aussi de son espoir dans un renouveau de l’écriture, qui ne passerait plus par le roman-roman : « Le roman (ou texte) ne sera plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une écriture. » D’autre part, ayant lu tout Proust et presque tout Borges, je suis entièrement d’accord avec eux : chaque écrivain nouveau s’insère dans une grande chaîne, celle de ses prédécesseurs, dont il ne constitue qu’un maillon (dans le meilleur des cas). Mon (L)ivre de papier est un immense jeu intertextuel : sous chacune de mes phrases ou presque se dessine un autre écrit, ou dire, que le mien… Citons Jean-Jacques Schuhl, à qui j’ai comme tu l’as rappelé consacré un essai : Moins il y a de moi dans une phrase et plus je suis content !

Pour lire l’entretien en entier, cliquer sur le lien suivant:

https://www.pileface.com/sollers/spip.php?article2886

PHILIPPE SOLLERS (1936-2023). Mémoire des poètes.

Rencontré une fois Sollers avec mon ami Thomas, à Paris, vers 2010, dans le cadre d’entretiens organisés par le CNL (rencontré aussi Richard Millet, Maurice Nadeau, Pierre Jourde, etc.). Pas un souvenir impérissable de ce moment, où le boss parlait essentiellement de Venise et de Saint-Augustin, cabotinant à merveille avec son porte-cigarette. J’ai lu ses livres ultérieurement, notamment sa biographie de Mozart. Le passage que lui consacre Houellebecq dans Les particules élémentaires est à mourir de rire. Je regrette juste de ne pas lui avoir demandé un autographe. Monstre sacré. Il aura fait beaucoup. Il serait facile de casser, ici, de trouver à redire. Paix à son âme.