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« NAGASAKI », ÉRIC FAYE, STOCK, PARIS, 2010 (Article paru dans « Diérèse » 52-53, printemps 2011)

   Célibataire endurci, météorologue sans passion apparente, Shimura-San, habite une maison silencieuse, face aux chantiers navals de Nagasaki. Quelques éclats de voix solitaires, des joies limitées: rien ne semble perturber la terne existence du quinquagénaire, jusqu’au jour où il s’aperçoit que certains aliments disparaissent du réfrigérateur. Soupçonnant la présence d’un étranger dans son intérieur, Shimura-San installe une webcam sur un meuble. L’intrus en question se révèle être une chômeuse de cinquante-huit ans, en fin de droits, installée dans un vaste placard, au fond de la résidence. Choqué mais bizarrement fasciné, l’homme observe l’inconnue se mouvoir chez lui, violer son intimité, avant de prévenir la police. Pris d’un singulier malaise et d‘un profond remord, Shimura-San déménage: Dehors, le passé a commencé de jaunir. Le genre humain se racornit. Quand je parle du passé, j’entends l’époque de son arrestation, au plein de l’été, et le soir où je me suis retrouvé seul chez moi – seul comme si je m’étais fait plaquer (p. 71). Une fois sortie de prison, la femme écrit une lettre bouleversante à Shimura-San, afin de s’expliquer.

   Comment lire Nagasaki?Inspiré par un fait divers réel, ce conte singulier, garde une part d‘énigme, résiste à toute exégèse univoque, réductrice. Tel lecteur verra ici le retour du refoulé, tel autre la présence du double, à la manière du Horla… Se jugeant inapte à analyser ses propres productions, l’auteur livre ici une œuvre ouverte, mystérieuse et en même temps profondément humaine, où tout se passe comme si les êtres ne parvenaient pas à communiquer. Comparant ses collègues à de laborieux robots, invectivant les politiques devant son téléviseur, Shimura-San, ne peut établir le contact avec cette marginale, contemplée à distance, à travers un écran d’ordinateur, soit de façon virtuelle, au milieu d‘un décor urbain anonyme et froid. La lettre de la femme elle-même n‘appelle pas de réponse. Ne reste, dès lors, qu’une lucide mélancolie, formulée dans le style limpide et sensible d’Éric Faye, admirateur, entre autres, de Gracq: Un jour, il ne se passe plus rien. La corde du destin, d’avoir été trop tendue, a cassé net. Rien plus n’arrive. L’onde de choc de ta naissance est si loin désormais, oh! Si loin. C’est la vie moderne. Entre échec et réussite s’étend ton existence. Entre gel et montée de sève. (p. 20).