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MÉMOIRE DES POÈTES XXXIV, UNE PENSÉE POUR ANNA KARINA (1940-2019)

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   D’Anna Karina, j’ai le souvenir d’une rencontre, il y a quinze ans environ, à la Coursive, lors du festival de La Rochelle. Je venais de voir L’Alliance, étrange film de Christian de Chalonge mettant en scène un vétérinaire introverti, incarné par Jean-Claude Carrière, trentenaire encore vierge cherchant une femme possédant une maison aux caractéristiques précises, afin d’installer un cabinet, et d’observer le comportement animal. Étant passé par une agence matrimoniale, l’homme rencontre une jeune bourgeoise mystérieuse, vierge également, incarnée par la belle Anna Karina. Curieux l’un de l’autre, sans vraiment se connaître, les deux époux s’observent minutieusement, elle cherchant à se rapprocher d’un mari distant, lui suivant sa femme dans la rue, sans vraiment parvenir à la cerner, tout en tenant un journal intime. Les dernières minutes sont plus singulières encore, puisque la fin du monde survient alors que le vétérinaire prenait Anna Karina dans les bras, pour lui dire qu’il l’aime. Le DVD de ce bizarre objet filmique n’existe pas. Et aucun cinéma du Quartier-Latin ne semble le diffuser. Il s’agit donc d’un trésor réservé à quelques chanceux. To the happy few, pour reprendre l’expression consacrée.

   Anna Karina, qui devait se produire le soir même, sur scène, en compagnie de l’inénarrable Philippe Katerine, Pierrot rigolo, nous avait parlé de ses productions, et naturellement de Jean-Luc Godard. Nous devions la retrouver dans le hall de la Coursive, haut-lieu de la culture locale, sous une vaste et claire verrière, donnant des dédicaces et répondant aux questions. J’avais pris mon DVD de Pierrot le fou, dans la collection « cinéma » du Monde (chaque semaine, le fameux quotidien éditait un classique, enveloppé d’une pochette cartonnée, bleue en l’occurrence). Il y avait une petite queue, des curieux, mais aussi des enseignants, des acteurs, des spécialistes, toutes personnes m’intimidant. Mon tour vint, Anna Karina me prit le DVD des mains, en m’adressant un sourire, et signa simplement avec un feutre, à même la pochette, le tout accompagné d’un coeur. Elle avait naturellement perdu de son incroyable beauté, mais conservait une forme de charme inaltérable, malgré les ans, les épreuves sans doute, la fatigue. Ce fut mon seul contact. Je ne devais jamais la revoir, ni à la Cinémathèque, ni au Centre Pompidou, ni dans aucune place to be. De quoi avons-nous parlé, ces quelques secondes? De L’alliance il me semble. Un film étrange, me dit-elle. Comme toujours, nous croyons les héros de notre enfance éternels, toujours jeunes, comme elle l’était dans Pierrot le fou. Ou encore dans cet incroyable passage, dans Alphaville, où nous retrouvons Éluard, autre figure familière.

Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres,

      Nos silences, nos paroles,

      La lumière qui s’en va, la lumière qui revient,

      Un seul sourire pour nous deux,

      Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d’apparence,

      Ô bien-aimé de tous et bien-aimé d’un seul,

      En silence ta bouche a promis d’être heureuse,

      De loin en loin, ni la haine,

      De proche en proche, ni l’amour,

      Par la caresse nous sortons de notre enfance,

      Je vois de mieux en mieux la forme humaine,

      Comme un dialogue amoureux, le cœur ne fait qu’une seule bouche

      Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,

      Les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville,

      Le regard, la parole et le fait que je t’aime,

      Tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre,

      D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime,

      J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière,

      Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir,

      Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard. 

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