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Archives du 26/06/2024

UN CLASSIQUE PAR MOIS: EUGÈNE DABIT (épisode 20)

J’ai vu le célèbre film de Marcel Carné à l’adolescence, et ne m’en rappelle plus. Dans mon souvenir, toutefois, et après avoir lu le livre, je crois savoir que les deux (le film et le livre, donc), sont très différents. Là, on ne peut pas, véritablement, parler de roman. Je veux dire: un roman avec une intrigue définie, du suspense, de l’action. Il s’agirait plutôt d’une sorte de récit à sketchs, soit une série de petites nouvelles, de portraits de locataires, tous peu ou prou issus du peuple, logeant donc au fameux « Hôtel du Nord », tenu par les Lecouvreur, deux gérants avisés, travailleurs, sentimentaux, au fond. Nous voyons ainsi se succéder les figures de petits voyous, d’ouvriers, de grisettes, de semi-prostituées, de militants socialistes, de provinciales au grand coeur, de bonnes à tout faire, d’alcooliques. Comme dans Pot-bouille, signé Zola, le personnage central serait en réalité l’établissement lui-même, qui finira démoli, quai de Jemmapes (alors même que le fameux hôtel du Nord est encore debout, existe pour de bon). Or, d’après Wikipédia qui ne se trompe jamais, Eugène Dabit (1898-1936) a vraiment travaillé à l’Hôtel du Nord, avec ses parents, avant de se tourner vers le journalisme et la littérature. Chef de file des « écrivains prolétariens », communiste mystérieusement disparu en URSS, l’homme croque ainsi le Paris, à la fin des années 20, avec un réalisme cru, mais toujours tendre, élégant, et dans un style sobre, poétique. Devenu culte grâce à l’adaptation (en grande partie), à l’incroyable affiche regroupant Jouvet, Arletty et Jean-Pierre Aumont, sans oublier le jeune Bernard Blier, L’Hôtel du Nord (avec l’article « l' », au passage), tient donc toutes ses promesses. Une légère mélancolie s’exhale, particulièrement à la fin, à la destruction du bâtiment. Bouleversée, Madame Lecouvreur se précipite au milieu des ruines, au risque de prendre un bloc, tel Jean de Florette. Plaisir, également, de lire Dabit dans l’édition de poche, l’édition populaire, donc, trouvée dans une boîte aux livres ou sur un quai, et que je m’empresse de remettre en circulation, en espérant qu’on le lise encore. L’aquarelle figurant sur la couverture représente un couple de gens modestes, elle rousse, lui brun, debout sur le fameux quai, avec en arrière-fond le métro aérien (la ligne 2, donc), le tout sur fond grisâtre. Joie surannée des vieux poches à l’odeur de moisi, et qui tiennent dans le veston!