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Archives du 23/06/2024

UNE LECTURE D' »ANIMAUX » PAR FREDERIKA ABBATE

« Animaux » d’Etienne Ruhaud ou l’art de détourner la célèbre mention : « Toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite ». Car si les animaux et organismes de ce livre sont inventés et appartiennent au « merveilleux », ils sont le reflet des intériorités qui nous animent et surtout qui nous hantent.

Il y a beaucoup d’eau dans « Animaux » (comme il y en a beaucoup dans le corps humain) et d’ailleurs les premiers animaux écrits-décrits sont les « Baignoires ». Ils peuvent être vus comme le lieu par où tout commence, liquide amniotique ou limbes. Et où tout finit, cloaque, déjections, mort. Les baignoires annoncent le projet écrit du livre : observer la vie au plus près, dans l’infinitésimal, mais aussi où tout entre en correspondance. Pour chaque cas, sont décrites avec précision les actions des animaux, leurs interactions avec ce qui les entoure, dans leur habitat, leur prédation… On plonge directement dans ce monde. L’absence d’explication, d’introduction donne une forte impression de véracité. L’écriture des animaux n’a pas besoin de légitimation. Ils existent. Dès lors ils sont observés et décrits comme le ferait un entomologiste, sans jugements, sans affects. C’est comme un livre d’histoire naturelle. Mais en creux, ce sont les humains qui ici s’écrivent, les humains en général dans leurs vies organiques et psychiques, par le jeu d’attractions et de répugnances que provoquent chez eux les animaux. Le pouvoir attractif ou non des animaux, leurs descriptions, rendent compte des fantasmes archaïques des psychés humaines. Mais à cet aspect général, se greffe le particulier avec l’apparition du « je » dans le Tératon, qui comporte une appréciation de goût, chose rare. Le tératon est dit « très laid ». C’est la seule page où le « je » apparaît. Et il marque une rencontre entre ce « je » supposé humain et l’animal « Je le croise… ». Or, il est intéressant de saisir en quoi il est vraiment laid. Cela est dû à la transparence de son abdomen qui laisse voir les organes intérieurs et les plaies. Ces organes et ces plaies pourraient être celles d’un humain. L’abomination consisterait donc dans le corps pris dans son aspect le plus élémentaire, qui se réfère au morcellement et à la mort. Le « corps sans organes » d’Antonin Artaud s’apprécie davantage… Il est fascinant que cette apparition du « je » et du corps intérieur humain (car j’y vois le corps humain pris sous le prisme de l’animal) soit aussitôt suivie du texte où l’écriture apparaît ; avec les Truffes. Sortes de parasites du corps humain, les truffes sont en fait l’écriture, qui surgit après la mort. L’écriture comme transcendance, comme traces de ce qui ne s’effacera jamais.

Il est à noter aussi que dans ces animaux se glissent des éléments qui ne sont pas des animaux. Les Graves : sortes d’arbres, où se couchent les vieux et les malades pour aller à la mort. Les Kalts qui pourraient m’évoquer un lieu de culte mystérieux (« cela ressemble à des menhirs »), destiné à personne… Une référence assez explicite est faite à l’âme des morts, avec Les Manes, qu’Étienne Ruhaud écrit sans l’accent grave sur le « a », les Mânes qui sont dans la mythologie romaine, les âmes des morts, devenant des divinités, un peu comme les « kamis » japonais. Or, ces Manes sont des hominidés, définis comme appartenant à une tribu archaïque, qui fait un sacrifice « humain » aux mygales. C’est « nous » mais vus après notre entière disparition…

Pour moi, le cœur du livre, car ce « bestiaire » est si vivant qu’il est comme un corps — le corps-organigramme de nos désirs et de nos peurs —, se situe dans les Ourans. L’originalité sans pareille et la beauté triste des Ourans vient du fait qu’ils ne sont pas constitués par des corps individués. C’est la « Mer perdue, flaque d’infinie tristesse. Miroir opaque, sans fond ni ciel ». Cette mer perdue attire les êtres vivants et les engloutit à jamais. C’est la mère originelle, ou le féminin infini qui aspire, envoûte et peut fasciner jusqu’à la sidération et la mort. C’est peut-être, tout simplement, la vie. Car, comme dans tous les textes de ces pages tendres et cruelles, cela respire, exhale, éjecte, aspire… Et les odeurs sont prégnantes, elles qui signent le mariage de l’invisible céleste et du visible de la peau.

Un livre à savourer, méditer et, mieux encore : sur lequel longtemps rêver.

N.B.: Un chaleureux merci, évidemment, à l’artiste et femme de Lettres Frédérika Abbate pour cette chronique parue sur Facebook. Le livre vit, revit, grâce aux lecteurs. Etienne Ruhaud.

RIMBAUD AU PÈRE-LACHAISE? (mémoire des poètes)

Tombe du poète Georges Izambard, professeur de Lettres et intime d’Arthur Rimbaud destinataire d’une des deux « Lettres du voyant ». Finit dans la misère. Repose au cimetière nouveau de Neuilly, au pied de la Grande Arche.

Mon livre sur le Pere-Lachaise surréaliste est fini (envoi aux éditeurs). Quelques tombes encore à mentionner (c’est sans fin). Désormais, j’aurais assez de matière pour composer un nouveau volume avec les sépultures des proches de Rimbaud, dont beaucoup reposent, ou ont reposé, en Île-de-France. Imprimeurs, amis, logeurs, etc. À voir.