PAGE PAYSAGE

Accueil » 2023 » août

Archives Mensuelles: août 2023

CARNET DE LECTURES 5, MAI 1998

Mai 1998

  • Une vie (Guy de Maupassant)
  • Discours de la méthode (René Descartes)
  • Le Romancier et ses personnages (François Mauriac)
  • Éthiopiques (Léopold Sédar Senghor)
  • Profil d’une œuvre sur Éthiopiques de Léopold Sédar Senghor
  • Le Bruit et la Fureur (William Faulkner)
  • Contes de la bécasse (Guy de Maupassant)
  • Eugénie Grandet (Honoré de Balzac)

« NAGASAKI », ÉRIC FAYE, STOCK, PARIS, 2010 (Article paru dans « Diérèse » 52-53, printemps 2011)

   Célibataire endurci, météorologue sans passion apparente, Shimura-San, habite une maison silencieuse, face aux chantiers navals de Nagasaki. Quelques éclats de voix solitaires, des joies limitées: rien ne semble perturber la terne existence du quinquagénaire, jusqu’au jour où il s’aperçoit que certains aliments disparaissent du réfrigérateur. Soupçonnant la présence d’un étranger dans son intérieur, Shimura-San installe une webcam sur un meuble. L’intrus en question se révèle être une chômeuse de cinquante-huit ans, en fin de droits, installée dans un vaste placard, au fond de la résidence. Choqué mais bizarrement fasciné, l’homme observe l’inconnue se mouvoir chez lui, violer son intimité, avant de prévenir la police. Pris d’un singulier malaise et d‘un profond remord, Shimura-San déménage: Dehors, le passé a commencé de jaunir. Le genre humain se racornit. Quand je parle du passé, j’entends l’époque de son arrestation, au plein de l’été, et le soir où je me suis retrouvé seul chez moi – seul comme si je m’étais fait plaquer (p. 71). Une fois sortie de prison, la femme écrit une lettre bouleversante à Shimura-San, afin de s’expliquer.

   Comment lire Nagasaki?Inspiré par un fait divers réel, ce conte singulier, garde une part d‘énigme, résiste à toute exégèse univoque, réductrice. Tel lecteur verra ici le retour du refoulé, tel autre la présence du double, à la manière du Horla… Se jugeant inapte à analyser ses propres productions, l’auteur livre ici une œuvre ouverte, mystérieuse et en même temps profondément humaine, où tout se passe comme si les êtres ne parvenaient pas à communiquer. Comparant ses collègues à de laborieux robots, invectivant les politiques devant son téléviseur, Shimura-San, ne peut établir le contact avec cette marginale, contemplée à distance, à travers un écran d’ordinateur, soit de façon virtuelle, au milieu d‘un décor urbain anonyme et froid. La lettre de la femme elle-même n‘appelle pas de réponse. Ne reste, dès lors, qu’une lucide mélancolie, formulée dans le style limpide et sensible d’Éric Faye, admirateur, entre autres, de Gracq: Un jour, il ne se passe plus rien. La corde du destin, d’avoir été trop tendue, a cassé net. Rien plus n’arrive. L’onde de choc de ta naissance est si loin désormais, oh! Si loin. C’est la vie moderne. Entre échec et réussite s’étend ton existence. Entre gel et montée de sève. (p. 20).

SORTIE D' »HANS BELLMER », JOSEPH NOSARZEWSKI, éd. Douro, coll. « La Bleu-Turquin ».

Ancien kinésithérapeute d’Hans Bellmer, lui-même artiste, Joseph Nosarzewski a bien connu le sculpteur, ainsi que sa compagne, la femme de Lettres Unica Zürn. Publié par notre ami Jacques Cauda à « La Bleu-Turquin », éditions Douro, l’essai paraît vers le 5 septembre, avec une posface cosignée Cauda-Etienne Ruhaud, ainsi que des poèmes de Roger Mathieu, et coûtera donc 21,50 euros. 

Pour précommander le livre:

https://www.editionsdouro.fr/boutique/HANS-BELLMER-p571699329

Lien vers la page Facebook:

https://www.facebook.com/events/272173008877726/?ref=newsfeed

ELLE EST BISSILIHIDE No. 4. ANTOINE MALLIARAKIS DIT MAYO (1905-1990). FRANCE. Série surréaliste

Huile sur toile, 1936.

NB: Mayo, qui a participé aux aventures du Grand Jeu, n’appréciait pas André Breton et ne fut jamais surréaliste à proprement parler.

VOIX DES AUTEURS: DENIS MONTEBELLO (Entretien paru dans « ActuaLitté en juin 2023)

Denis Montebello : “Je voyage en archéologue

Né en 1951 à Épinal, professeur de Lettres classiques, Denis Montebello vit à La Rochelle depuis plusieurs années. Auteur de nombreux ouvrages, essais, contes et poèmes, l’auteur a également animé des ateliers d’écriture, notamment en prison. On lui doit enfin plusieurs traductions, du latin et de l’occitan. Récompensée par plusieurs prix, son œuvre interroge les liens entre passé et présent, le rapport aux origines, aux étymologies. En juillet 2009, Denis a ouvert le blog « Cotojest ». Notons enfin qu’il a possédé une chienne, Inès… Par Étienne Ruhaud.

ActuaLitté

Suite de variations canines, ce nouveau recueil explore les liens entre l’homme et nos amis à quatre pattes, sur un mode tantôt humoristique, tantôt mélancolique. Marqué par une grande érudition littéraire, mais aussi pas un sens aigu de l’actualité, Le Titien à sa maman emprunte aussi aux codes oulipiens. L’ensemble est singulier, mêlé…

 Étienne Ruhaud : Pourquoi avoir choisi le chien ?

Denis Montebello : Au départ, c’est un jeu. Une contrainte oulipienne. Le Poème pour chien tel que le définit Marcel Bénabou (sa liste de contraintes oulipiennes se trouve sur Internet) : « Poème pour chien – inclut le nom d’un chien d’une manière invisible pour l’œil humain mais parfaitement audible pour l’oreille canine. »

Et je me suis pris au jeu, la contrainte a eu un effet libérateur. Ou c’est le chien, son rôle émancipateur. Celui qu’il avait pour homo sapiens. Et qu’il a retrouvé pendant le premier confinement. En tout cas, l’inspiration était au rendez-vous. Et même l’enthousiasme.

On comprend que tu as eu un chien, ou plutôt une chienne (une certaine Inès), à laquelle tu semblais très attaché. Peux-tu nous en dire davantage? Est-ce cela qui t’a poussé à écrire ce livre ?

Denis Montebello : Je crois que l’élément déclencheur a été Un chien à ma table de Claudie Hunzinger (Prix Fémina 2022). Comme Yes, la chienne du livre, Inès avait été maltraitée, abandonnée par son maître sous prétexte que les autres chiens en sa possession lui faisaient la peau. Nous l’avons choisie un peu par hasard dans les chiens de la SPA. Je ne voulais pas d’un petit chien (du Titien à sa maman !), et c’est un croisement de Boxer et de Labrador (ou de Golden Retriever) qui a débarqué chez nous. C’est l’ange qui s’est installé à notre table. Et qui un matin, après onze ans de vie commune et particulièrement heureuse, nous a quittés, comme on dit dans les nécrologies. C’est la douleur qu’a réveillée le livre de Claudie Hunzinger, le membre absent qui s’est soudain rappelé à moi, le manque, et quand le mot manque, comme chez Montaigne ou en occitan, de celle qu’on a perdue on dit qu’elle est « à dire ». Alors oui, Inès était à dire, et c’est la raison de ce livre.

Mais la question me conduit peut-être à rationaliser a posteriori. Les textes que j’ai réunis ici ont été écrits à la suite, ils se répondent. D’autres sont venus s’ajouter tardivement, mais ils ont trouvé leur place dans la chronologie de l’ensemble, et dans sa logique. Si l’on regarde bien, on peut noter une évolution, constater que le ton change, et la forme. Je suis parti, comme je l’ai dit, d’une contrainte oulipienne. L’Oulipo est aussi présent au début avec Queneau, dont le nom serait le diminutif normanno-picard de chien. Puis progressivement je m’affranchis. C’est le chien qui me libère. Inès, c’est l’ange qui s’invite à ma table, l’élargissement que je n’attendais plus. 

Pour retrouver l’entretien en intégralité:

https://actualitte.com/article/112408/interviews/denis-montebello-je-voyage-en-archeologue

Notre précédent entretien avec Denis Montebello, autour de Pétrarque:

https://pagepaysage.wordpress.com/2014/10/28/un-entretien-avec-denis-montebello-autour-de-petrarque-entretien-paru-dans-dierese-57-a-lautomne-2012/

UN CLASSIQUE PAR MOIS: ÉMILE GABORIAU (1832-1873). Épisode 11.

Jonzac m’évoque des souvenirs de vacances. Non pas que j’y ai suivi une quelconque cure thermale, ou que j’y ai séjourné, mais parce que nous y passions systématiquement en voiture, mes parents, ma soeur, et moi, pour aller du point A (La Rochelle), au point B (Escamps, petit village perdu au Sud de Cahors, où réside ma famille maternelle). Je ne me rappelle que du nom, ainsi que de quelques paysages agricoles épars. Je sais que la ville fut créé par les Romains, que mon père y travailla en tant qu’éducateur spécialisé, qu’il y a là beaucoup de misère blanche, des vignes… C’est à peu près tout. Mon ami Nicolas B., fils d’un député divers droite élu du canton, en saurait peut-être davantage, mais il est trop tôt pour l’appeler, et puis il me suffirait de consulter Wikipédia. 

C’est en tous cas à Jonzac que gît Émile Gaboriau, né à Saujon, au bord de la Seudre, sous la monarchie de Juillet, mort à quarante ans, donc, d’une banale infection pulmonaire, peu de temps après la chute du Second Empire, en 1872. Brève, sa vie n’en fut pas moins aventureuse. Je prie à ce sujet l’aimable lecteur de bien consulter sa fiche, de se renseigner par lui-même. Gaboriau fut carabin, entre autres, ce qui revêt une certaine importance dans son écriture… Du moins dans celle du Petit vieux des Batignolles, dont le narrateur, un certain Godeuil, étudie la médecine, avant de se transformer en inspecteur amateur, à ses heures perdues. Le pitch est simple. Un vieux beau, ancien coiffeur, passablement grigou, surnommé « Adénor », est assassiné chez lui, aux Batignolles donc. Avant de mourir, la victime a tracé « MON » sur le parquet, en lettres de sang, soit le nom, ou la première partie du nom, de l’assassin (à l’instar du célèbre « OMAR M’A TUER », quoi!). De fait, tout désigne son neveu, un certain Monistrol, commerçant désargenté, très laid marié à une épouse sublime, propriétaire du chien « Pluton », comme le coupable idéal. Et d’ailleurs l’homme s’accuse lui-même… Mais je ne veux pas davantage spoiler, comme on dit, révéler la fin. Notons simplement (la série « Un classique par mois » étant délibérément égotiste), que l’intrigue se termine cours de Vincennes, où je réside présentement. À l’opposé des Batignolles…

Ma critique va sans doute paraître simple (il s’agit ici de noter quelques impressions parfaitement subjectives): une intrigue rondement menée, un flic bigrement efficace, et qui, sans les avancées techniques contemporaines, en termes d’investigation criminelle, parvient à retrouver le vrai meurtrier, etc. Le style n’a rien de poétique, correspondant assez toutefois aux nécessités du genre. Un très bref roman, qui convient donc au format même de la rubrique mensuelle. Une longue nouvelle concise et sobre, disons, sachant que Gaboriau aurait influencé Conan Doyle (merci, à nouveau, Wikipédia!)

Mais justement, pourquoi Gaboriau, quand je n’ai pas lu d’autres auteurs nettement plus célèbres? Tout simplement grâce à la Fnac, qui m’a suggéré de lire l’ouvrage, après avoir terminé Leroux (cf. précédemment). Internet a parfois du bon, quoi qu’en disent certains esprits chagrins. En l’occurrence, j’ai vu apparaître le titre, librement téléchargeable au format e-book, et  publié une nouvelle fois par la bibliothèque du Québec, soit Bibebook, sur ma liseuse Kobo. La fameuse Bibliothèque idéale de Bernard Pivot conseille, elle, L’affaire Lerouge, là encore librement téléchargeable. Roman précurseur, apparemment, et très long, où apparaîtrait le dénommé Lecoq, soit l’un des premiers détectives de l’histoire littéraire. Comme je l’ai déjà dit, je manque de temps. Un autre jour, peut-être… Reste que ce Petit vieux des Batignolles, pour l’heure, ne m’a nullement déçu! J’aime assez ces intrigues oubliées, le récit feuilletonesque, les vraies histoires, les vrais récits solidement charpentés, anciens, entre deux expérimentations formelles légèrement ennuyeuses. 

UN CLASSIQUE PAR MOIS: GASTON LEROUX (épisode 10)

Mon premier souvenir du Fantôme de l’opéra remonte à la classe de troisième. Notre professeure d’éducation musicale, quinquagénaire en surpoids, très brune, très chahutée, habillée à l’ancienne (passionnée par son métier, du reste, qui consistait essentiellement à nous faire souffler dans des flûtes « Aulos » et à gérer les problèmes de discipline), nous avait passé, au magnétoscope, la VHS d’une des innombrables adaptations filmiques du roman signé Leroux. C’était avant les vacances d’été, vers 1994. Les portables n’existaient pas encore et nous nous étions ennuyés à mourir, accablés de chaleur et de puberté. D’ailleurs la plupart des collégiens n’écoutaient pas. Précisons, s’il le fallait, que la scène se déroulait dans un collège bourgeois du centre-ville rochelais.

Avant d’ouvrir le livre, ou plutôt le fichier epub, librement téléchargé depuis le site de la Fnac sur ma liseuse Kobo, et proposé gracieusement par le bibliothèque électronique du Québec (la maison s’appelant « Bibebook »), je ne me souvenais pas de grand-chose, hormis peut-être de la fameuse scène du lustre, lorsque l’objet se détache du plafond, pour tomber sur les acteurs du Faust de Gounod. Je me souvenais également d’une scène située dans le lac souterrain, situé sous l’opéra Garnier, donc, et qui cette fois existe réellement. Et où d’ailleurs nagent des poissons, arrivés là par accident. Me restaient en mémoire également quelques images Belle-Époque, entre chapons melons et autres clichés typiques, le roman datant de 1910.

Assez long (pour une fois, me dira t’on, puisque je me concentre généralement sur de minces volumes, par simple nécessité), Le fantôme de l’opéra est véritablement un enchantement. Construites par le mystérieux Érik, les chambres secrètes, et notamment la forêt du Congo (dans laquelle les miroirs produisent une insupportable chaleur), prolongent le rêve par-delà les tréfonds, l’arrière scène. S’y mêlent les amours contrariés du monstre, épris de la belle Christine Daaé, confronté à un rival de poids, le beau et jeune Raoul de Chagny, déterminé, aidé par un Persan de carte postale, condensé d’orientalisme, ancien daroga (chef de la police), et qui livrera la clef de l’énigme en fin de volume… Une écriture moderne, également, qui prend le lecteur à témoin, dans la plus pure tradition feuilletonesque, sachant que les abonnés devaient attendre PATIEMMENT le numéro de leur hebdomadaire pour connaître la suite, comprendre l’intrigue, sans possibilité de replay.

N.B.: les lecteurs attentifs auront sans doute remarqué l’absence de la série d’avril à juillet. Nous nous engageons à relever le défi, et donc à rattraper le retard.

ANGST