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MÉMOIRE DES POÈTES XV: ALAIN JOUFFROY (1928-2015), Cimetière du Père-Lachaise, division 49. (article publié dans « Diérèse » 70, printemps-été 2017)
Né à Paris, non loin du parc Montsouris, le 20 décembre 1928, Alain Jouffroy assiste, lors d’un voyage en Espagne en 1936, à la violence de la guerre civile, épisode qui le marquera fortement. Ayant commencé, très jeune, à écrire et à peindre, il croise par hasard André Breton en 1946 dans un hôtel finistérien d’Huelgoat, et devient membre du mouvement surréaliste. Il y fréquente notamment Victor Brauner (enterré au cimetière Montmartre), Stanislas Rodanski, Sarane Alexandrian (incinéré, et présent dans le columbarium, division 87), ainsi que Claude Tarnaud. Exclu deux ans plus tard, A. Jouffroy, qui a également côtoyé Henri Michaux et Francis Picabia, théorise la notion « d’individualisme idéologique », avant de se faire connaître en tant que critique, notamment à travers les revues L’œil et Arts, et d’épouser Manina (1918-2010), artiste vénitienne dont l’influence le marque fortement. Ayant rencontré notamment Marcel Duchamp, Daniel Pomereulle, Roberto Matta, Jouffroy refuse tout sectarisme politique, et, en compagnie de Jean-Jacques Lebel, introduit le pop art, ainsi que la Beat Generation, dans l’Hexagone, tout en se réconciliant avec Breton, jusqu’à produire la première anthologie de poésie surréaliste dans la collection NRF/Poésie Gallimard
L’homme, qui s’est remarié à Laetitia Ney d’Elchingen, descendante du poète franco-allemand Heinrich Heine (inhumé, comme V. Brauner, au cimetière Montmartre) participe activement à mai 68, déploie une intense activité de critique artistique, tout en « révélant » Michel Bulteau et Mathieu Messagier, auteur du célèbre Manifeste électrique aux paupières de jupe, et en fondant les Éditions étrangères, avec Christian Bourgois. La période est extrêmement féconde : Jouffroy publie des essais, comme Les Pré-voyants, (1974), mais aussi les aussi des poèmes, des manifestes politiques, et un intéressant roman autobiographique, avec Le roman vécu, paru en 1978. Il dirige parallèlement la revue XXème siècle, de 1974 à 1981.
Une nouvelle rupture créatrice se produit, après la séparation d’avec sa troisième femme, l’actrice Adriana Bodgan. Au début des années 80, Jouffroy s’intéresse effectivement à la civilisation d’Extrême-Orient, et, devenu conseiller culturel à l’ambassade de France à Tokyo, entre 1983 et 1985, organise les premiers sommets culturels franco-japonais, tout en se passionnant pour le bouddhisme zen. Il épouse la designer Fusako Hasae, puis, de retour en France, créée le Club, sorte de société informelle regroupant artistes et auteurs, en collaboration avec le philosophe Félix Guattari. Il y fait connaissance avec le peintre Christian Bouillé, et entame dès lors une œuvre plastique importante, les fameux Posages, aux confins du collage, et du montage. Influencé à la fois par Nietzsche, Rimbaud, et l’art nippon, auteur d’une centaine de livres tous extrêmement divers, Alain Jouffroy nous a quitté le 20 décembre 2015, et repose désormais sous une tombe fort sobre de la 49ème division. Mais laissons la parole au créateur, à travers ces quelques vers d’amour, intitulés « À toi », et dédiés à la plasticienne Manina, évoquée plus haut .
À toi la stupeur immobile de ma joie
Mon sourire de marbre blanc
Mon regard lavé dans la source du sous-bois
À toi mes mains de ville ouverte
À toi mes genoux d’écureuils
À toi ma voix la plus lointaine
À toi tout ce qui tisse nuit et jour à travers moi
À toi la lagune où nous nous sommes connus
À toi les revenants du soleil
À toi ces palais de lilas dans nos yeux
À toi tout ce qui est tout ce qui change
À toi
L’explosion de la perle au cœur de l’oiseau noir
Venise, 1954-1956
NB: Alain Jouffroy (1929-2015) : La tombe se situe donc dans la 49ème division, 2 lignes de tombes face à la 50ème division et 15 lignes face à la 45ème division.