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« FLORE ET BESTIAIRE IMAGINAIRES », DANIEL HABREKORN, L’HARMATTAN, PARIS, 2015 (article paru dans « Diérèse » 72, printemps 2018).
Illustré par Hélène Nué, Vladimir Mavounia-Kauka, et Daniel Habrekorn lui-même, ce livre relativement long et fourni n’est pas qu’un recueil, mais aussi une sorte d’essai poétique autour du bestiaire. Dans une intéressante préface, l’auteur évoque effectivement plusieurs noms s’étant prêté au genre, du Moyen-Âge à nos jours, ou presque, d’Hildegarde de Bigen à Francis Hallé, en passant par Victor Hugo, ou même par Franquin, créateur de Spirou et Fantasio. Désirant décrire diverses bestioles, et trouver l’inspiration dans une littérature ancienne ou récente, D. Habrekorn ne semble en effet pas rétif à la littérature populaire, tant que celle-ci nourrit sa propre inspiration. Ainsi retrouvons nous certaines chimères imaginées par des prédécesseurs, telle la fameuse « vouivre » de Marcel Aymé, elle-même issue d’une légende franc-comtoise. Inventif, drôle, audacieux, D. Habrekorn, qui admet avoir quelques intercesseurs, n’en reste pas moins un créateur original, capable de mettre sur pied toute sorte d’animaux, dans une démarche que nous qualifierons de démiurgique. Sorte de dictionnaire, de cabinet de curiosités littéraire, le volume s’apparente également à un abécédaire, puisque les êtres sont classés dans l’ordre alphabétique (du mystérieux Abyssus iratus, au Zèbre noir, simple version noircie du zèbre ordinaire, page 178). Trois autres chapitres complètent le livre. Dans les Résolutions de quelques grandes énigmes de la nature (p. 183-210), l’auteur s’amuse à répondre à de fausses énigmes, tel : « Comment l’hydre dévore le crocodile » (p. 208), en citant une nouvelle fois abondamment diverses sources livresques, tout un zoo littéraire. Dans Publicité à l’adresse des animaux & des plantes, l’écrivain fait de la réclame pour de fausses boutiques, de faux articles, comme ces Leurres pour chasse à courre, de la rue du Renard, dans le IVème arrondissement, boulettes de senteur jetées çà et là dans la forêt, et destinées au gibier souhaitant échapper au chasseur. Dans ses Petites annonces pour les mêmes, cette fois, D. Habrekorn conçoit quinze offres amoureuses et/ou érotiques, soigneusement numérotées : Bernard-l’ermite partagerait avec Bernarde vaste coquille située dans un golf enchanteur (p. 228).
Relevant de la pataphysique, dans son aspect pseudo-scientifique, et du surréalisme, ce singulier volume trouverait volontiers sa place dans l’Anthologie de l’humour noir, signée Breton, et mériterait assurément la prix « 30 millions d’amis » (présidé par Michel Houellebecq). Usant d’une langue parfois nouvelle, de nombreux néologismes, l’érudit D. Habrekorn sait se montrer lyrique, et audacieux : De la famille des couillodères, ce pugéphile des raimouilles se distingue de l’Abyssus abyssum commun par l’astracance de ses deux joufles qui le rend moins profond et plus irritable (page 15). Derrière la fantaisie, la drôlerie, la bouffonnerie, se cache également une critique de l’époque, relativement subtile, notamment lorsque se trouve évoqué l’iPhonus bifurcus, bête très nuisible qui plonge le parasité dans une sorte d’ahurissement, de torpeur imbécile (page 89). Intemporel et actuel à la fois, savant et sensible, ce vaste Bestiaire, procède, plus que tout, d’une remarquable originalité.