VICTOR BOBO
Demain matin, dès l’aube, vers mon chalet d’montagne,
En jeep je partirai, quand personne ne m’attend,
J’irai par l’autoroute polluant la campagne,
Je ne puis demeurer à Paris plus longtemps.
Je roulerai l’oreille fixée sur France Inter,
En écoutant Raoult, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, à toute vitesse, l’air ébahi…
Vide, comme la province sans le wifi.
Je ne regarderai ni les calvaires paumés
Ni même les villageois par moi contaminés
Et quand j’arriverai je mettrai la télé
CNEWS, FRANCE 24, ou BFM TV….
« PLUTÔT LA VIE » (A.B.)

Le poète belge Paul Dermée (1885-1951) et sa femme, Céline Arnauld née Carolina Goldstein, (1886-1952), qui se suicida un an après sa mort.
Je racle les archives de Paris sur internet. Retrouve des gens par mail, par coups de fil aux ayant-droits. De sympathiques vieillards, généralement, compréhensifs, résilients, égrainant les souvenirs d’une voix chevrotante, avec des éclats, parfois, des sursauts d’émotion, récitant des vers, des extraits totalement oubliés, profondément confinés dans les réserves de la BNF. Et ce même si souvent on n’a pas envie de réveiller des deuils, de révéler des conflits familiaux, qu’on se fait l’effet d’être un fouille-merde. J’aime ce travail d’enquête autour du mouvement volatil que fut le surréalisme. Le travail historique, technique, auquel je n’étais pas préparé. J’aime le surréalisme en tant que fuite vers le rêve, refus du réel brut et immédiat permettant de supporter le quotidien. Cette évasion vers un passé futuriste, onirique, comme une façon de survivre dans la cité. Cette façon de se tourner délibérément vers le songe.
COVIDE
Étant sur Facebook pour retrouver des amis d’enfance et parler de culture, je n’aime pas évoquer mon activité professionnelle. Tout travail salarié m’est d’abord toujours apparu comme étant une nécessité, à accomplir avec sérieux, car somme toute on est rémunéré, et puis je crois à la nécessité de l’État. Alors quand ce n’est pas trop pénible…
Au fond, j’aurais aimé un otium définitif, à la mode romaine. Rester toute ma vie une sorte de consommateur littéraire subventionné, animant des blogs, tournant des vidéos au caméscope, discutant jusque tard dans la nuit de questions esthétiques en remplissant des carnets Moleskine, et voyager dans les pays de l’Est en car. Outre le fait que ça reste adolescent, on m’aurait vite traité de parasite. Et puis de toute manière c’est impossible, sauf à gagner au Keno, ou à hériter, tels Pieyre de Mandiargues ou Raymond Roussel… Agent muséal, pour ne pas dire gardien de musée (comme on préfère parler de « technicien de surface » plutôt que de « balayeur »), il semblerait que je sois par un devoir d’astreinte, ce qui paraît tout-à-fait normal (après tout, le personnel médical est lui aussi mobilisé). Le spectacle de Paris complètement vide a certes quelque chose d’un peu nord-coréen, et au fond cette déconnexion a du bon, tel une pause dans une ville surpeuplée, en perpétuelle compétition… Même si on craint la suite (économiquement, s’entend).
« LA POMPE A SANG », JEAN GAUDRY (1933-1991)


