Le vers semble connaître, depuis plusieurs années, un regain d’intérêt. Bien que l’écriture régulière n’ait jamais été abandonnée, et soit récompensée par de nombreux prix régionaux, la plupart des auteurs lui préfèrent désormais le vers libre ou la prose. Toutefois, quelques irréductibles demeurent, à l’instar de William Cliff, de Michel Houellebecq ou de Laurent Fourcaut. Tiré aux Pays-Bas, chez Blurb, et richement illustré, Eldorado respecte ainsi rigoureusement les règles de la métrique classique. Employant tantôt l’alexandrin, tantôt l’octosyllabe, parfois des vers d’inégale longueur, C. Sigler se soucie des codes, sans pour autant verser dans une esthétique surannée. Ainsi des deux acrostiches « Rufino » et « Tamayo », qui évoquent le plasticien du même nom, et dans lesquels l’auteure semble s’être amusée. Déployant une langue riche, fortement imagée, Claudine Sigler s’attache également au présent, à l’époque actuelle, à travers une série de tableaux vivants et contemporains, prises de vue littéraires de Mexico, cité latino-américaine, et de Bruxelles, cité nordique. Car c’est bien autour de ces deux capitales, en apparence lointaines, opposées, que se construit le livre, selon deux axes, deux parties, avec, pour chacune, un papier différent : ocre comme le désert, pour Mexico, et gris, comme le ciel flamand, pour Bruxelles. Bicolore, Eldorado, dont le titre nous ramène aux cités d’or fantasmées, décrit ainsi deux endroits que tout paraît séparer, mais que C. Sigler veut relier, par la magie du verbe, dans une sorte de géographie imaginaire, subjective. Représentant, sur un même mur, le visage de René Magritte et de Frida Kahlo, deux surréalistes, un homme et une femme, l’un belge, l’autre mexicaine, la photographie du quatrième de couverture pourrait assez bien résumer, condenser l’ensemble. Ayant vécu outre-Atlantique, mais revenue en France, amoureuse du plat pays, C. Sigler célèbre avec un égal bonheur les deux contrées, les rapproche jusqu’à les confondre, à travers le dernier texte :
Las… Rien n’a plus ni queue ni tête
En Flandre comme à Mexico :
Tout a vécu, et sur vos fêtes,
Les pluies tombent comme un rideau.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un guide touristique désincarné. L’émotion est palpable, à chaque ligne. Dépeignant des lieux qu’elle aime, qu’elle a aimés, C. Sigler nous parle de gens qu’elle a côtoyés, de figures attachantes : artistes, écrivains, ou personnes simplement croisées. Des références érudites, des phrases reprises, jaillissent dans cette autobiographie versifiée, tantôt des chansons, tantôt des textes classiques entremêlés, ici ceux d’Heredia et Lamartine :
J’ai connu l’éternel été,
Le maïs en guise de blé,
La pyramide et le llano,
Les jardins de Xochimilco
Où Carlota brûla ses ailes,
_ Suspends ton vol, petit gerfaut,
Car México devient Bruxelles.
Une pointe de mélancolie, de nostalgie surgit parfois. Tout doit passer, y compris les beaux souvenirs. Accompagné de photos prises par C. Sigler elle-même, bel objet plastique conçu par Dominique Janneteau, ce petit volume a quelque chose de terriblement vrai.
N.B.: Rufino Tamayo est un peintre mexicain originaire d’Oaxaca, au Mexique.
Merci, Etienne, pour ce beau commentaire.
Une première précision : dans l’extrait que tu as cité, Carlota (son nom en espagnol), c’est Charlotte de Belgique, épouse de Maximilien, l’éphémère empereur du Mexique (1864-1867).
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Merci à toi. J’insère un nota bene?
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Pt juste un astérisque? Ici, ce commentaire (et le suivant) suffit/sent, à mon avis ? Mais dans Diérèse, tu peux encore intervenir ?
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Non hélas c’est déjà imprimé. Du coup je laisse comme ça. BIsous.
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Et par ailleurs, à propos du double acrostiche Rufino/Tamayo, si j’ai écrit « Rufino », C’est Dominique Janneteau qui a écrit « Tamayo » (il y a sa signature sous sa partie). En cette seule occasion, j’ai placé son texte en regard du mien, car ils sont indissociables.
En effet, ce dyptique est extrait d’un autre autre volume de vers réalisé en commun par Dominique et moi-même (20 textes de chacun) en 2012 : « Vingt poèmes d’amour ».
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L’aile dure à dos
J’habite une banlieue
où on se trimballe vaut mieux
avec sa bite mais surtout deux couteaux
y a des alarmes partout des tonnes
sur les maisons sur les autos
tu les frôles aussitôt ça sonne
fais gaffe à ta peau à ton sac
ne laisse rien traîner là où tu t’embarques
tout objet sans surveillance
va nourrir la part des anges
tout disparaît très vite
sauf un objet’unique
que tu peux déposer sans risque
n’importe où il faudrait payer le voleur
pour qu’il en fasse son beurre
l’objet ne pèse pas plus que du givre
dans les esprits et c’est un livre
Les poètes qui comptent les pieds et qui riment méritent une médaille, j’ai vu dans la banlieue où on vole tout que les livres exposés dans la rue, personne ne les touche…Un livre vaut moins que sa gratuité dans la société marchande. C’est dire son avenir dans un monde où tout s’achète ou se vole!
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Merci Vandeproute
Une petite précision, histoire de pinailler ;-). Dans le vers français, on ne compte pas les « pieds » (terme impropre qu’on n’utilise plus aujourd’hui, car il s’applique aux langues où alternent des sons brefs ou longs, accentués ou non, comme le grec ancien ou l’anglais), on compte les syllabes (qui chez nous ont toutes la même longueur).
Et de fait, avec de l’habitude, on ne les compte plus : la régularité et le rythme arrivent tous seuls quand on écrit, de même qu’un musicien ne se trompe jamais dans son tempo…
Le slam fonctionne selon le même principe, et je suis souvent admirative de la créativité de certains… Quant aux livres, tant mieux si on les vole !! Autrefois, on le faisait chez Gibert… :-). Positivons !
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J’adore ton sérieux analytique, Claudine!!!!
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Bon, Etienne, il m’arrive quelquefois de rire. Rarement…:-D
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Oui, Etienne. On peut aussi citer La Bruyère : « il faut rire avant que d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri « …
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« Pour ce que rire est le propre de l’homme » (François Rabelais)
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