Pourquoi j’aime autant les cimetières, les tombes, les disparus, les oubliés, les sépultures de clowns, d’artistes de music-hall, de has been, de ces gens dont il reste si peu, sinon une indication, un surnom? S’agit-il là de complaisance morbide avec ce sentiment honteux de contempler à loisir le malheur, ou du désir de maintenir quelque chose, de l’angoisse de la perte, d’un goût non avoué pour la marginalité? De l’espoir que, de nous, quelque chose subsiste? Je ne saurais répondre, tant on est mauvais juge de soi-même. Ce matin, je suis revenu au cimetière de Thiais, ce vaste ensemble funéraire aux cénotaphes anonymes, où furent ensevelis tant de maudits, terroristes, résistants, collabos, et surtout SDF, de ces petites morts du métro qu’on n’aimerait pas voir, que j’évoque dans Disparaître, mon bref et unique roman. Je ne sais quand l’heure viendra ni ce que deviendra notre corps. Reste que l’endroit, pour glauque qu’il soit, demeure toujours aussi émouvant, au fond, si on sait le sonder, y redécouvrir les figures méconnues, à l’image du peintre américain Beaufort Delaney, dont l’art joyeux et le sourire contrastent tant avec la tristesse abyssale de la zone. En marchant ce matin dans les allées, sous le timide soleil, redécouvrant les lignes et les lieux de mon récit, au sud de nulle part, mais accompagnée de S., jeune Iranienne enthousiaste, me revenaient en mémoire les airs de Fahrad Mehrad,Jacques Brel persan enterré dans le minuscule carré achéménide de l’ensemble, comme un souvenir d’empire enfoui.
Plutôt que : j’ai longtemps fréquenté le cimetière de Montmartre, je préfère dire : les cimetières, ça a débuté comme ça, avec celui de Montmartre. Et je me sentais bien au milieu des humains morts et des chats bien vivants, c’est fou ! Rien qu’un après-midi passé au cimetière, et j’avais le moral au beau fixe, alors que 5 minutes au supermarché, le moral, je le retrouve dans les chaussettes ! Les vivants, le plus souvent, ils me donnent envie de crever alors que les morts, ils me redonnent le goût de la vie ! Déjà, un mort, il vous cause de l’intérieur, ça c’est la grande classe, il ne vous casse pas les oreilles pour entrer, il est dedans tout de suite, par miracle ! Les morts peuvent vous parler comme les livres qu’on a lus et refermés mais qui continuent en soi leurs histoires, toute une finesse qui dépasse les vivants ; le sel de la vie passe par les morts. D’ailleurs si y avait pas les morts, la vie ne voudrait pas le coup d’être vécue.
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Exact et vrai, cher Fabrice.
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