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MÉMOIRE DES POÈTES XI: JEAN ROLLIN (1938-2010), Père Lachaise, division 37

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Jean-rollin_1938   Fils du dramaturge Claude Rollin et de Denise Lefroi, qui sera la maîtresse de Georges Bataille (1897-1962, enterré au cimetière de Vezelay) et Maurice Blanchot, Jean-Michel Rollin Roth le Gentil naît le 3 novembre 1938 à Neuilly-sur-Seine. Enfant, il se passionne pour le cinéma de cape et d’épée après avoir vu Le Capitaine Fracasse d’Abel Gance, puis, adolescent, pour les films fantastiques américains, ainsi que pour la littérature populaire. Il s’initie à la réalisation au cours de ses obligations militaires, en tournant des publicités pour le recrutement. Ayant échoué à devenir assistant du grand surréaliste Luis Buñuel (1900-1983, ses cendres sont répandues à Mexico), Rollin, influencé par la déconstruction narrative du Nouveau Roman, s’aventure en plusieurs essais expérimentaux, littéraires, tel Les Amours jaunes (1958) adaptation d’un poème de Tristan Corbière (1845-1875), ou Ciels de cuivre (1961). L’itinéraire marin, projet de film avec Marguerite Duras datant de 1963, ne voit finalement pas le jour. Rollin continue donc à enchaîner courts-métrages et travaux alimentaires, sur les plateaux, où il est embauché comme technicien.

   Le viol du vampire, son premier long-métrage, sorti en mai 1968 à l’occasion des évènements de mai, est un échec retentissant. Né, pour d’étranges raisons, de la jonction de deux moyen-métrages (Le viol du vampire proprement dit et Les femmes vampires), et produit avec très peu de moyens par Sam Selsky, l’œuvre suscite de violentes réactions de rejet. Surréaliste, sensuel et avant-gardiste, Le viol du vampire déçoit la plupart des spectateurs, venus voir un authentique film d’horreur, dans l’esprit des productions anglaises Hammer. Les rares critiques sont féroces, et Rollin veut alors mettre un terme à sa carrière. Il revient néanmoins dès 1969 avec La vampire nue, film magnifique tourné en couleur, avec les jumelles Marie-Pierre et Catherine Castel (qu’on retrouvera dans les productions suivantes), et qui fait la part belle aux obsessions saphiques de l’auteur, ainsi qu’à une sorte d’imaginaire sombre. Peu dialogué, assez lent, le scénario décrit la lutte courageuse d’un jeune homme contre la sanglante société secrète dirigée par son père, défendue par d’étranges personnages à masques d’animaux. Le film, qui convoque à la fois Georges Franju, grand intercesseur de Rollin, et l’expressionisme allemand, évoque une nouvelle fois l’esthétique surréaliste. Le frisson des vampires (1970), où une reine vampire sort d’une horloge, ou encore Requiem pour un vampire (1971), ou deux jeunes filles déguisées en clowns s’enfuient d’un centre éducatif pour atterrir dans un château habité par une secte avide d’hémoglobine, restent dans la même veine érotico-fantastique.

"Le viol du vampire", 1968

« Le viol du vampire », 1968

   L’Américain Lionel Wallman, qui va produire les films suivants, convainc Rollin d’introduire quelques scènes d’amour hétérosexuelles, puis de s’orienter vers le genre érotique, en pleine expansion au début des années 70. En 1973, le nouvel échec commercial de La rose de fer, autre récit énigmatique et vampirique se déroulant sur la côte normande et dans le cimetière d’Amiens, amène le cinéaste à « commettre », sous pseudonyme, des navets pornographiques softs, parmi lesquelles Jeunes filles impudiques (1973), et Tout le monde il en a deux (1974), où nous retrouvons le mannequin Joëlle Cœur. Rollin, qui glisse un soupçon d’épouvante dans Phantasmes, en 1975, n’a pas renoncé pas pour autant à son travail d’auteur. Réalisé en 1974 avec davantage de moyens, comptant Jean-Pierre Bouyxou, personnage fétiche des plateaux underground, au casting, Les démoniaques, où le spectre de jeunes filles victimes de naufrageurs pourchassent leurs bourreaux, et Lèvres de sang (qui connaîtra une double version nettement plus hardcore, avec l’acteur-poète Jean-Loup Philippe, Suce-moi vampire), se heurtent pourtant toujours à l’indifférence, voire au mépris, de la critique. Contraint à la production de séries B, théoriquement plus populaires, Rollin tourne alors beaucoup, et notamment des films de zombies, parfois intéressants, parmi lesquels Les raisins de la mort (1977), avec la plantureuse actrice X Brigitte Lahaie, Le lac des morts-vivants (1981), sous pseudonyme, ou encore La morte vivante (1982). Il s’illustre aussi dans le thriller, avec La nuit des traquées (1980), et Les trottoirs de Bangkok (1984), récit sensé se dérouler en Thaïlande, mais entièrement filmé dans des hangars… au milieu du XIIIème arrondissement ! Signalons enfin une comédie qui n’a pas fait date, Ne prends pas les poulets pour des pigeons (1985), avec Michel Galabru, sur un scénario de Jean-Claude Benhamou, et un authentique drame, non-fantastique, qui raconte l’errance de deux jeunes fugueuses, Les échappées (1981). La capacité de Rollin à réaliser rapidement et avec un budget minimal des œuvres de commande attire alors l’attention de Marius Lesoeur, producteur d’Eurociné, et que le cinéaste espagnol Jésus Franco (1930-2013) a abandonné du fait qu’il ne lui fournissait pas suffisamment de fonds. Outre ses propres films, Rollin se voit proposer de reprendre les rushs de Franco (ce qui provoque la fureur de l’intéressé), et de « compléter » certaines productions bancales ou inachevées, tel Emmanuelle 6, en 1988. Lui qui aime faire une courte apparition dans certaines scènes, joue également pour des amis, tels Norbert Moutier, spécialiste de cinéma bis, Jean-Pierre Putters, fondateur de « Mad movies », ou encore Quelou Parente, auteure de plusieurs courts métrages fantastiques.

Nue,_jean_rollin-1969

  Reconnu dans les milieux arty américains comme un créateur atypique, son travail se diffuse peu à peu en vidéo outre-Atlantique, mais pas en France, où les salles obscures de quartier disparaissent les unes après les autres pour laisser place à de grands complexes où les petites productions sont absentes. S’éloignant progressivement de la caméra faute de moyens, Rollin prend la plume pour explorer plus avant un univers original, unique. Plusieurs romans, là aussi fantastiques, souvent gore, tels La petite ogresse, Gargouillis glauque[1], ou Billes de clown[2] voient ainsi le jour. Devenu directeur de collection chez Florence Massot et Fleuve noir, Rollin tourne un peu pour la télévision, grâce à Canal +, et réalise aussi des films beaucoup plus personnels, aux antipodes des séries B précédemment citées. On retrouve ainsi l’écriture des premiers films dans Les deux orphelines vampires (1997), La fiancée de Dracula (2002), et surtout la magnifique Nuit des horloges (2007), sorte de testament esthétique et spirituel, alternance de réflexions philosophiques et de morceaux poétiques, riches de nombreuses références aux films du début. La hardeuse Ovidie y incarne la jeune Isabelle. Ayant reçu en héritage la maison d’un vieil oncle écrivain et réalisateur, le mystérieux Michel Jean (double assumé de Rollin), Isabelle sera poursuivie par des spectres au Père Lachaise, allégories des propres idées fixes de l’auteur. Ni cette Nuit des horloges, ni l’ultime Masque de la méduse (2010), où jouent l’épouse et la petite fille de Rollin, ne sortent cependant en salle. Atteint d’un cancer, l’homme, qui commence à être invité dans des festivals, s’éteint le 15 décembre 2010, et se trouve inhumé dans le caveau familial de la 27ème division, dans le cimetière qu’il avait lui-même filmé. À soixante-douze ans. Il laisse derrière lui pas moins de trente-et-un courts et longs métrages, vingt-deux livres, et plusieurs scénarios. D’inégale valeur, souvent décriée, son œuvre, aujourd’hui rééditée en DVD, rencontre un nombre croissant d’adeptes. Plusieurs documentaires lui sont également consacrés, tels Jean Rollin, le rêveur égaré[3], ou Être et à voir[4].

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[1] Tous deux publiés chez Rafaël de Surtis/Editinter.

[2] Editions Edite, Paris, 2009.

[3] Damien Dupont et Yvan-Pierre Kaiser, sorti en 2011.

[4] Jean-Loup Martin, L’Harmattan, Paris, 2015.


8 commentaires

  1. Mora pascal dit :

    Passionnant compte rendu sur un auteur de genre

    Aimé par 1 personne

  2. VIGNER dit :

    « Un amoureux du genre, qui n’a jamais cessé de creuser le même sillon et rien que pour son obstination, sa volonté d’offrir des films fantastiques poétiques et oniriques, on doit réhabiliter Jean Rollin.(citation tirée d’un site remarquable). »
    Certes.
    « Reconnu dans les milieux arty américains comme un créateur atypique » d’un côté alors que, de l’autre – en France, de son vivant – ses films « se heurtent pourtant toujours à l’indifférence, voire au mépris, de la critique », on ne peut, avec vous, que reconnaître « La capacité de Rollin à réaliser rapidement et avec un budget minimal des œuvres de commande (…) »; tout cela est juste et notable.
    J’aimerais m’enthousiasmer moi aussi pour les quelques films « magnifiques », dont « La Vampire nue » et « Lèvres de sang », qui se rattachent à la lignée surréaliste du cinéma français, tels des héritiers du grand Franju! Mais je dois bien avouer que je ne suis pas vraiment exalté par ce cinéma qui, s’il me touche davantage dans sa veine « sensuelle et surréaliste » que la plupart des productions du cinéma de genre fantastique qui touche à l’épouvante ou à l’horreur, je suis pour tout dire davantage sensible aux intentions de l’auteur, à sa part autobiographique (« ses obsessions », d’ailleurs peu originales et plus ou moins artificielles si j’en crois certains entretiens!) si l’on veut, qu’au résultat proprement dit!
    Je crois que je suis plus sensible au cinéma de Luis Buñuel ou à celui – dans un tout autre registre – de Borzage (pas encore assez connu! Ses oeuvres muettes ainsi que quelques bijoux des années 30 et 40); à des films comme « L’Atalante », cet immense classique ou une oeuvre fantastique aussi célèbre et belle que « L’Aventure de Mme Muir »; ils sont loin d’être méconnus aujourd’hui.

    Merci pour votre contribution à cette reconnaissance tardive, méritée sans doute, mais à nuancer pour ma part…

    Un amateur un peu critique.

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    • Cher amateur un peu critique,

      Je ne vous connais pas, ou, du moins, vais feindre de ne pas vous connaître. D’abord, je tiens à vous remercier pour cette contribution. Ensuite, je tiens à préciser que je connais les limites de Rollin. Je sais qu’il s’agit là d’un cinéma populaire, par certains aspects, avec sa dose d’amateurisme. Cela étant, j’en reviens à mes obsessions, et à la stricte définition que donne Robert Bresson du cinématographe. Rollin a une écriture cinématographique, ce qui n’est pas le cas de réalisateurs plus connus comme Chabrol, qui produit une oeuvre léchée, professionnelle, intéressante, mais sans grande originalité graphique. De plus, Rollin, qui fut lecteur de Blanchot et Bataille, porte en lui un univers fantasmatique intéressant. On le réduit au saphisme et au vampirisme… J’invite vraiment les détracteurs, qui demeurent nombreux, à explorer ne serait-ce que « La vampire nue », à regarder vraiment le film. Outre l’inspiration surréaliste, invoquons l’expressionnisme allemand, qui transparaît d’ailleurs de façon originale dans la conception graphique des affiches. Tout cela pour dire que si je ne porte pas Rollin au pinacle des plus grands cinéastes, tels Bunuel que vous citez, et dont Rollin voulut être l’assistant, je lui reconnais le mérite d’avoir introduit une poésie dans le fantastique (lui qui a adapté Tristan Corbière), et d’avoir, tâche ardue, poursuivi l’aventure surréaliste par la caméra.
      En revanche, excusez moi, je ne vois pas ce que Borzage, que j’aime, vient faire là-dedans!

      J’aime

    • Cher amateur un peu critique,

      Je ne vous connais pas, ou, du moins, vais feindre de ne pas vous connaître. D’abord, je tiens à vous remercier pour cette contribution. Ensuite, je tiens à préciser que je connais les limites de Rollin. Je sais qu’il s’agit là d’un cinéma populaire, par certains aspects, avec sa dose d’amateurisme. Cela étant, j’en reviens à mes obsessions, et à la stricte définition que donne Robert Bresson du cinématographe. Rollin a une écriture cinématographique, ce qui n’est pas le cas de réalisateurs plus connus comme Chabrol, qui produit une oeuvre léchée, professionnelle, intéressante, mais sans grande originalité graphique. De plus, Rollin, qui fut lecteur de Blanchot et Bataille, porte en lui un univers fantasmatique intéressant. On le réduit au saphisme et au vampirisme… J’invite vraiment les détracteurs, qui demeurent nombreux, à explorer ne serait-ce que « La vampire nue », à regarder vraiment le film. Outre l’inspiration surréaliste, invoquons l’expressionnisme allemand, qui transparaît d’ailleurs de façon originale dans la conception graphique des affiches. Tout cela pour dire que si je ne porte pas Rollin au pinacle des plus grands cinéastes, tels Bunuel que vous citez, et dont Rollin voulut être l’assistant, je lui reconnais le mérite d’avoir introduit une poésie dans le fantastique (lui qui a adapté Tristan Corbière), et d’avoir, tâche ardue, poursuivi l’aventure surréaliste par la caméra.
      En revanche, excusez moi, je ne vois pas ce que Borzage, que j’aime, vient faire là-dedans!

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      • VIGNER dit :

        Ma contribution à relativiser l’intérêt de la filmographie de Rollin, ou du moins à exprimer mon peu d’enthousiasme pour son oeuvre, quelles que soient ses obsessions et « son écriture cinématographique » ne m’empêche pas d’être sensible à la « poésie dans le fantastique ».
        Je tenais seulement à exprimer un intérêt beaucoup plus fort pour d’autres cinéastes et films qui expriment aussi cette alliance d’un certain fantastique et du poétique: les films de Borzage (moi aussi je suis capable de revenir encore et encore sur le même cinéaste!) peuvent appartenir pleinement à ce merveilleux mélange – encensé par les surréalistes – même s’ils s’inscrivent aussi dans un contexte beaucoup plus réaliste; je vous invite donc à regarder vraiment, si vous l’aimez comme vous le dites, ses films.
        L’écriture cinématographique de ses mélodrames, exaltant l’amour absolu, uniques en leur genre mais préfigurant d’autres poètes du septième art peut atteindre des sommets de poésie (qui touche au sublime à l’égal – ou presque – du « Sunrise » de Murnau!), à commencer par « L’Heure suprême » par exemple, et fait de lui l’un des « premiers cinéastes à atteindre l’universel – avec sans doute plus d’élan et moins de calcul que Griffith » (Dictionnaire de Jacques Lourcelles). Trop méconnu donc je ne me prive pas de l’encenser comme il le mérite!
        Par ailleurs les plus beaux films fantastiques, surréalistes ou non, dont le Mankiewicz que j’avais cité, possèdent parfois cette « poésie déchirante », je pense aussi à la première des grandes rêveries romantiques et fantastiques du cinéma hollywoodien « Peter Ibbetson » (Hathaway)! Certes ces exemples ne proviennent pas du cinéma français et sont loin d’être méconnus mais voilà où est mon coeur!
        Je pourrais citer les films de J. Tourneur, « Les Innocents » de J. Clayton, ou dans un tout autre registre cette oeuvre profondément originale « Carnival of souls »… Que de poésie!!! Franju n’est pas si seul finalement…
        Quant à Chabrol, que je ne porte pas spécialement dans mon coeur, je ne vois pas trop ce qu’il vient faire là même s’il explore le genre fantastique en réalisant ALICE OU LA DERNIÈRE FUGUE, étrange film méconnu à réhabiliter sans doute (pendant que nous y sommes!): à défaut d’être lui aussi un (très) grand cinéaste, il est sans doute l’auteur de l’une des filmographies les plus cohérentes de la seconde moitié du vingtième siècle, avec des titres assez mémorables : « Les Biches », « Que la bête meure », « Violette Nozière », « La Cérémonie », bien évidemment « Le Boucher »… tous ces titres qui mettent en avant le déséquilibre qui menace les individus et la société, une certaine folie… et « scrutent cette part d’irrationnel et d’insondable qui résiste obstinément à tout esprit de système » (ses adaptations de Simenon sont d’ailleurs d’éclatantes réussites!).

        Mon commentaire, un peu long, témoigne aussi de l’intérêt que je porte à votre réponse et au dialogue que nos réponses respectives peuvent susciter…

        Toujours le même amateur -critique- de « fantastique poétique » (et le « réalisme poétique » dans tout ça?!)…

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    • Vous savez, Céline disait, « C’est rare, un style ». Ce qui vaut pour la littérature vaut pour le cinéma. Rollin n’est pas un génie, mais il poursuit avec les moyens du bord l’aventure surréaliste, et il a un style cinématographie. C’est déjà beaucoup.

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